Alain Touraine
Historien de profession, Alain Touraine se reconvertit dans la sociologie du travail, domaine dans lequel il se fera connaître.
Sur le concept d'historicité
Alain Touraine se donne pour but de repenser la dynamique de l'histoire et la capacité d'action des individus ; pour lui, la société serait capable d'agir sur elle-même. C'est ce qu'il explique par son concept d'historicité. Il le décrit comme la « capacité d'une société de construire ses pratiques à partir de modèles culturels et à travers des conflits et des mouvements sociaux. »
Il existe trois dimensions de l'historicité :
- L'accumulation des actions produites, des objets, de tout ce qui peut se cumuler. Cela peut être une accumulation de capital au sens économique du terme, ou encore de culture.
- La représentativité du mode de connaissance, de la culture.
- Un modèle de connaissance, et donc une représentativité de la créativité, de l'attrait pour l'innovation, ou au contraire pour la tradition.
On voit alors que nos sociétés modernes possèdent une forte historicité car elles ont énormément accumulé divers objets, mais aussi parce que la créativité s'est progressivement accrue. Ainsi les sociétés se sont construites au fur et à mesure des évolutions, en se fondant sur leurs propres bases.
Travail et société
Alain Touraine a consacré une grande partie ses recherches au monde ouvrier et à la nouvelle société industrielle. Il a analysé les transformations des systèmes de production et les syndicats ouvriers.
Touraine définit les sociétés industrielles comme un ensemble de classes reposant sur une situation de dominants/dominés. Les dirigeants sont chargés d'établir les productions de connaissances, de contrôler l'accumulation, ce qui va induire l'imposition progressive de ce modèle ; imposer ce modèle est en effet nécessaire pour qu'il conserve sa place de dominant.
Etude du monde ouvrier
Alain Touraine théorise la société en analysant ses facteurs (systèmes institutionnels, historiques). Il considère que la formation de la société est née des actions sociales collectives et individuelles. A chaque type d'organisation du travail correspond en effet une image de l'ouvrier, que lui-même se donne ; cela conduit à l'émergence constante d'une « conscience de classe ».
L'organisation du travail a subi trois phases : la première repose sur le « système professionnel » ; la seconde sur le « système technique » ; la troisième repose sur le système d'automatisation qui présuppose la fabrication de machine. Ces phases ont été mises en avant par l'analyse du travail ouvrier au cours d'une étude effectuée au sein des usines Renault en 1955.
La phase A correspond à l'organisation du travail au sein de la société industrielle au 19eme siècle. A cette époque, le travail ouvrier était relativement autonome, et il était aisé de trouver du travail ; l'apprentissage du métier se faisait par la pratique, aussi bien dans le milieu ouvrier que dans les postes à responsabilité. Les ouvriers bénéficiaient alors d'une plus grande considération de leur travail.
La phase B est marquée par la mécanisation et donc par la baisse de l'autonomie ouvrière ; les productions se mécanisent, la division du travail apparaît alors en limitant l'importance du travailleur. C'est l'époque du fordisme et du taylorisme. Dans cette phase, même si le travail est décontenancé, l'ouvrier garde toujours un contact avec l'objet fabriqué. La formation de l'ouvrier ne repose plus sur la pratique, mais sur l'obtention de diplômes ; plus l'ouvrier est qualifié, plus il obtient une place importante dans l'entreprise, quelle que soit son expérience. Ainsi, ouvriers qualifiés et ouvriers non qualifiés sont regroupés au sein d'une seule et même « conscience ouvrière ». A cette époque, les travailleurs sont mal payés et vivent dans des conditions difficiles ; pour changer leur condition, ils entrent dans des syndicats. Dans cette phase donc, le syndicalisme est revendicatif.
La dernière phase est celle de l'automatisation. En ne faisant plus que manier les machines, l'ouvrier n'utilise plus ses compétences techniques. Les productions deviennent massives et l'ouvrier est contraint d'accélérer toujours plus le mouvement. La production de marchandises devient considérable, et les stocks s'écoulent dans nos sociétés de consommation. Cette phase, qui oblige à la performance individuelle, a conduit l'ouvrier à s'individualiser ; les revendications particulières se sont donc substituées au syndicalisme revendicatif.
Au travers de cette étude, Touraine présentera également les différences entre les ouvriers, dans Conscience ouvrière (1966), caractérisées par le principe d(identité (ce que nous sommes), le principe d'opposition (lutte consciente contre une autre classe ou un patron), et le principe de représentation de la société (enjeux globaux).
Société industrielle, société post-industrielle
Alain Touraine montre qu'à force d'évolutions sociales successives, la société s'est tournée vers de nouvelles formes sociales. Il constate que le conflit de classe qui opposait autrefois les bourgeois aux prolétaires n'existe plus. La société a été transformée.
Il évoque ainsi le passage de la société industrielle à la société post-industrielle. Alors que le mode capitaliste reposait sur la simple accumulation des capitaux, la nouvelle société s'appuie aussi sur la maîtrise des connaissances. Ainsi la classe dominante ne rechercherait plus seulement la richesse matérielle, mais également le savoir ; c'est ce qui caractériserait principalement la nouvelle « société programmée ».
Le changement s'opère dans nombre de domaines. Les changements économiques ont favorisé l'émergence d'un travail plus aisé pour l'ouvrier, aboutissant progressivement à une moyennisation de la société ; les individus ont acquis de meilleures conditions de vie et ont commencé à consommer. Ces masses populaires ont été normalisées et ainsi aliénées, ce qui a limité les revendications Cette évolution a été soutenue par l'accroissement du rôle de l'Etat dans l'économie.
Au-delà de ces évolutions concrètes, les valeurs ont elles aussi évolué : avec le renforcement de l'individualisme, les solidarités se sont estompées. Il y a désormais peu de revendications syndicales, et celles qui existent encore sont souvent réprimées par la population ; il n'y a plus de forces révolutionnaires. Désormais, les mouvements de contestation opposent les « professionnels » (ceux qui ont un savoir, mais pas le pouvoir, comme les enseignants) et la masse, aux technocrates (qui détiennent le pouvoir).
Les mouvements sociaux
A. Touraine attire l'attention sur deux notions que sont l'action sociale (relative aux acteurs) et les mouvements sociaux (qui concernent leur changement). A partir de ces notions, il définit les faits sociaux par l'objet de leur action, et par la signification que les acteurs lui donnent.
Il définit le mouvement social comme une action collective des individus en vue d'un changement social ; cette action est destinée à contrôler les orientations sociales de leur environnement. C'est le dépassement du mouvement contestataire du groupe, et la mise en cause du pouvoir et de sa domination.
Pour être considéré comme un mouvement social, le phénomène doit reposer sur trois principes :
- L'opposition des acteurs envers d'autres acteurs.
- La totalité de l'objet de revendication ; l'objet ne repose donc pas sur des volontés particulières.
- L'identité particulières des acteurs
Pour A. Touraine, les nouvelles visions de la société amènent à de nouveaux procédés de mobilisation et ainsi à des mouvements d'ampleur qui différent des anciens mouvements. La sociologie se destine à mieux comprendre la signification de ces mouvements
Alain Touraine a donc étudié les mouvements écologistes, antinucléaires, les mouvements des sans-papiers, des chômeurs, des altermondialistes, etc.
Contemporain des évènements de mai 1968, il a évoqué la crise dans le communisme utopique. Il évoque les problèmes d'adaptation des universités face à la modernité croissante ; traditionaliste et stagnante, elle ne permet aucun progrès. Cette révolte est donc plus qu'une simple contestation étudiante, elle amène à repenser le modèle de société ; contre le système hiérarchique et dominateur, le mouvement attaque l'idéologie de l'innovation et montre l'objet des luttes sociales à venir.
Avec l'aide de ses collaborateurs, il mettra au point une méthode d'investigation, celle de l'intervention sociologique, dans laquelle le sociologue doit être dans et hors du mouvement pour l'analyser. Ils feront des entretiens collectifs, des recherches dans les documents relatant le sujet.