Socialisme utopique
Les principales idées défendues par les socialistes dénoncent la propriété privée, le libre-échange caractéristique du libéralisme, et donc par la suite, la misère qui s’emparera progressivement de certaines populations.
Au 16ème siècle, est inventé le terme utopie par Thomas More. Ce dernier désigne une conception imaginaire et heureuse de la supposée réalité. Ainsi il construit l’idée d’un monde dans lequel les maisons sont identiques, où la propriété n’existe plus. Aucune hiérarchie sociale n’empêche l’égalité effective de la société. Les individus, réunis principalement sous forme de communauté, ne travaillent plus que six heures, le reste du temps pouvant se consacrer aux loisirs. Cet idéal non révolutionnaire formera une certaine vision du monde, émet la possibilité d’une alternative.
Selon ces mêmes principes, Campanella imagine sa société du soleil qui repose sur les lois universelles, la science constituant le fondement de cette société. Les valeurs comme la famille ou la religion sont détruites, et la liberté doit être sacrifiée pour vivre mieux.
Les premiers socialismes critiquent les économies récentes qui pensaient améliorer par l’accumulation des richesses la vie de la société. Pourtant, les faits démontreront que les théories de Say entre-autres ne sont pas favorables sur plusieurs points : la libre concurrence ne fait qu’accroitre les richesses pour une seule catégorie de la population, l’avènement de la société industrielle désagrège la classe ouvrière, et l’accumulation du capital conduit à une surproduction. Ces idées que s’attribuera notamment Sismondi annoncent la montée des revendications qui seront rapidement le propre de la société. L’évolution de la misère dans certaines couches de population devient peu supportable ; c’est cette misère que l’on appelle le « paupérisme industriel », et contre laquelle les socialistes vont lutter.
Au 18ème siècle, alors que le libéralisme commence à s’installer et à mettre en avant la liberté individuelle, les socialistes tentent d’enrayer le mouvement en la faveur d’une plus grande simplicité des mœurs. En comparaison avec les théories du bon sauvage telles que Rousseau les avaient notamment établies, Morelly affirme que les politiques de l’époque contredisent les lois de nature. Il montre que le vice réside dans la propriété, dans le fait de vouloir toujours de nouvelles choses qui appartiennent à chacun ; au contraire si ce principe n’existait pas le travail se ferait selon le bien commun. Il propose en conséquence de construire un magasin public qui redistribuera les biens, qui ne s’achèteront pas et ne seront pas vendus. Si cette disposition est utopique, elle amène une conception nouvelle de la propriété.
Dans la même optique, Malby dénonce la propriété privée des biens qui est l’origine de tous les maux. Contre les physiocrates qui pensent que le fondement de la société réside dans la propriété, il pense que le bonheur réside non pas dans l’abondance, mais dans la vertu. L’ancienne simplicité des mœurs et des valeurs s’est tournée vers une société complexe, mauvaise et démunie de toute morale. Il refuse la nouvelle société reposant sur le commerce et le luxe et dénonce cela par l’enrichissement croissant des riches. Il propose d’y remédier par l’établissement de certaines dispositions : la propriété devra donc tout d’abord être supprimée. Pourtant, la suppression des inégalités de fortune se répercuterait nécessairement sur les pauvres, qui ne sont pas non plus régis par la vertu ; il faut en conséquence donner une certaine morale aux riches, et les empêcher la pression qui opprime les pauvres. L’Etat, qui doit se poser en exemple doit montrer que lui-même n’a pas pour but de s’enrichir ; ainsi, il faut diminuer les impôts et donc les recettes.
Owen de son côté montrera les conséquences ce la société industrielle naissante sur les travailleurs. Par une réflexion comparative entre les méthodes précédentes de production, et les moyens actuels, il élabore son analyse. La fin des guerres napoléoniennes entamée, la force de travail a avec elle diminué, et entrainé l’élaboration progressive de machines. Mais cela amène une concurrence entre l’homme et la machine, et donc une dévalorisation du travail humain. Cette étude ne permettra pas à Owen de le rendre célèbre ; c’est l’entreprise modèle de New-Lanark qui le fera. En tant que chef d’une industrie textile, il veut révolutionner les conditions de travail ouvrier. A la recherche d’efficacité et d’égalité entre ouvriers, il commence par abaisser le temps de travail et augmenter les salaires. Parallèlement, il améliore la salubrité des logements. Puis il ouvre autour de l’entreprise des écoles, où la pédagogie diffère entièrement de celle éduquée habituellement ; ni les punitions ni les récompenses n’existent, car la base de l’éducation repose sur l’enseignement de la vertu. L’importance accordée à l’intelligence s’établie par des cours du soir destinés à l’acquisition d’une certaine logique. Ce modèle contient une répartition juste du travail, de bonnes relations sociales et une suppression de la propriété privée. Mais les mesures prise par de bonnes intentions n’amèneront pas un succès de ces modèles. Pourtant Owen veut instaurer ce type d’institutions au sein même de la société ; ces « villages coopératifs » de 500 à 2000 individus sont élaborés en contradiction totale avec le principe de concurrence capitaliste puisqu’il repose sur la solidarité. Les individus seront rendus plus rationnels dans cette nouvelle société, et les élections éliront les plus compétents d’entres-eux, et les plus à-mêmes de s’organiser ainsi les plus aptes à connaitre les causes du bien et du mal.
Utopie associative
Selon Fourier, le commerce a introduit un libéralisme qui dégrade toute la société, en ancrant de manière durable la concurrence et l’égoïsme. Il crée le système du phalanstère ; à partir de l’idée qui consiste à considérer que les passions fondent l’ordre social. Les passions principales, affectives, distributives ou sensitives sont au nombre de douze; leur assemblage de manière complémentaire permettra d’atteindre le bonheur, qui consiste à avoir « beaucoup de passions, et beaucoup de moyens pour les satisfaire ». L’association des passions se matérialise par la constitution de phalanstères regroupant 1620 individus qui comprennent les douze passions qui se complètent. Fourier pense que c’est cet équilibrage qui permettra d’apporter le bonheur à la société et la liberté de l’homme. En parallèle, il réfléchit sur le rôle de l’Etat, et son utilité ; dangereux, il ne servirait à rien, et pourrait aisément se substituer à une fédération d’associations de travailleurs regroupés librement.
E. Cabet, comme les socialistes précédents, veut réorganiser la société industrielle selon une conception plus solidaire, par l’abolition de la propriété privée, et l’interdiction du profit. Il invente une utopie à travers le pays Icarie dans laquelle la propriété privée n’existe plus et les biens sont distribués au peuple, constituant ainsi ce qu’il nomme le « capital social ». Selon lui la propagande communiste permettra d’établir l’égalité partout, allant même jusqu’à s’étendre vers d’autres Etats-nations.
Mais la majorité des socialistes de l’époque viennent de la haute société, même s’ils souhaitent défendre la cause ouvrière. L’action va alors se politiser, grâce notamment au droit de grève donné en 1864. En réaction à l’individualisme bourgeois et à la société industrielle naissante, le socialisme veut réattribuer à la classe ouvrière ses droits.
Ainsi, Louis Blanc élabore un schéma d’amélioration de la condition ouvrière à travers L’Organisation du travail. Il contribuera à politiser le mouvement socialiste en créant les Ateliers sociaux qui devront permettre d’attribuer le même salaire à tous les travailleurs, et finalement fonder un grand secteur économique dont l’Etat serait responsable. Avec des débuts convaincants, il entreprend d’élaborer son projet en construisant les ateliers nationaux. Mais la pression des républicains modérés ne permettra pas une bonne expansion du projet.
Socialistes révoltés
A l’heure des prémices de la société industrielle en marche, les socialistes cherchent à créer un nouveau monde. Pour éviter le monopole d’accumulation des richesses, il faut les rendre collectives, par le biais des moyens de production. D’après eux, le socialisme constitue la première étape du processus de passage à un collectivisme, alors que le communisme en est la dernière. Mais les deux mouvements ne sont qu’une partie de l’évolution de l’humanité, au même titre que le capitalisme. Tout devra changer, de la production à la constitution de la société. Le communisme devra avoir atteint un haut niveau de science et de technique pour dominer la nature. Et ces changements ne pourront se produire que grâce à une révolte.
C’est ce qu’Auguste Blanqui a compris en profitant de toutes les occasions possibles pour faire entendre sa volonté. Prônant une révolution permanente, il participe à toutes les actions importantes. Son but premier est de faire la révolution, et ne s’occupe que peu de ce qu’il se passera ensuite ; il élabore l’organisation de cette révolution. S’il espère convaincre les exploiteurs d’écouter leur volonté, toutes ces révoltes incessantes le condamneront avec les siens à de nombreux séjours en prison.
Avec son exclamation « La propriété, c’est le vol !», on constate aisément que le scandale politique est également prôné par Proudhon. Dénonçant la propriété, il pense qu’elle ne repose sur aucune utilité. Son postulat repose sur la valeur du travail collectif qui est nécessairement plus importante que l’individuel. Mais la différence entre les deux ne se comprend pas dans le salaire ouvrier, et l’argent supplémentaire est attribué au capitaliste. Contre la nocivité de l’Etat, il dénonce aussi bien la démocratie qu’il considère illusoire. A la place su système en place il propose une association fédérative, élaborée à l’aide d’un pacte. De famille, en villages, jusqu’à parvenir à la formation de groupes, les rassemblements se soumettent à des règles communes. S’il ne désire pas détruire l’Etat, il veut le rendre fédéraliste, décentralisé et limité, représentant le pluralisme de la société.
Le mouvement anarchiste qui se poursuivra se situera dans une optique de révolte contre toute forme d’oppression, et surtout en Russie, avec Bakounine et Kropotkine.
Babeuf, comme ses contemporains lutteront contre la liberté du commerce des grains, et donc en faveur de l’agriculture. Il propose une loi agraire qui permettra de redistribuer un lot, donné à l’individu, le jour de sa mort. Les terres devront être redistribuées, ceci annonçant l’abolition de la propriété privée, et amenant à une égalité parfaite (utopie égalisante). Il montre à travers toute sa pensée l’aspect dangereux du commerce, conception que reprendra Fourrier.