Montesquieu
Juriste à Bordeaux avant de venir exercer à Paris, Montesquieu publie l’Esprit des Lois en 1748. C’est alors qu’il connait un grand succès ; il ira même jusqu’à inspirer les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (l’article 16 : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »).
Définition des lois
Montesquieu définit les lois comme des relations qui gouvernent de manière suprême. Afin de comprendre les lois humaines, il faut comparer les lois à la justice car c’est bien la justice qui surplombe les lois ; il existerait donc une justice naturelle, au-dessus des lois.
Les lois civiles, à la différence des lois naturelles, ne sont pas élaborées au hasard, et malgré leur diversité, elles reposent sur une même structure de base. Il existe donc un lien entre toutes ces lois, qui permet leur fondement. La loi est un commandement, une relation ente le législateur et les sujets. Les lois seraient des rapports venus de la nature des choses, le rapport entre Dieu et les êtres, mais aussi des relations entre les êtres. Il considère les lois dans un sens scientifique ; les lois ont une rationalité propre, liée entre elles par des rapports de causalité. Montesquieu n’étudie donc pas les lois isolément, mais selon le rapport qui unit les lois entre-elles, ce qu’il nomme l’esprit des lois, la loi des lois. Il reprend ainsi les principes scientifiques cartésiens et les appliquent aux sociétés humaines. L’ensemble des relations qui existent entre les lois constitue donc l’esprit des lois. La loi générale est la raison humaine, rendue universelle en ce qu’elle gouverne tous les hommes.
Par ce raisonnement, Montesquieu tente de démontrer la rationalité des sociétés humaines et des lois. Les faits de la politique s’étudient en effet à la manière d’un savant ; la science politique ne peut s’étudier que par une désacralisation des vérités chrétiennes.
Critique des régimes
Montesquieu ne reprend pas les théories traditionnelles des régimes politiques, mais s’inspire néanmoins largement de la philosophie politique antique en étudiant les trois grands types de gouvernement. Régis par un principe particulier, ces gouvernements se distinguent par leur nature ; Montesquieu distingue donc la nature du gouvernement, qui le fait exister et qui gouverne, du principe qui le fait agir, par les passions. La notion de passion, spécifique à chaque gouvernement, est la condition d’existence de chacun d’eux. Montesquieu met donc en avant trois gouvernements :
- Le gouvernement républicain
Régime dans lequel tout ou partie du peuple possède la souveraineté populaire, le gouvernement républicain se subdivise en deux types : aristocratique (gouvernement de quelques uns) et démocratique (gouvernement de tous).
Dans une République démocratique, la souveraineté appartient au peuple, qui en conséquence se soumet aux règles édictées par des délégués. Montesquieu distingue la démocratie directe de la démocratie représentative et pense que le peuple doit décider de tout ce qui est en son pouvoir, le reste se faisant par ses ministres. Le principe de ce gouvernement est la vertu, c’est-à-dire le civisme qui signifie que l’homme accorde plus d’importance à l’intérêt général et à la nation qu’à son propre intérêt. L’amour des richesses est inconcevable dans un tel régime, les valeurs étant pures. Cependant ce type de gouvernement ne peut exister que dans des petits Etats.
Dans une République aristocratique, seule une minorité dispose de l’autorité et de la souveraineté ; même si le principe reste la vertu, il est moins proéminent, et s’exerce seulement par l’attribution d’une partie de compétence, ou du moins d’influence au peuple.
- Le gouvernement monarchique
Un seul gouverne et possède donc le pouvoir souverain, et exerce sa fonction avec des lois fixes et établies. Le monarque ne dispose pas d’une toute puissance, qui se limite et dépend de pouvoirs intermédiaires exercés par la noblesse, les magistrats et le clergé, restant ainsi dans le domaine de la haute société. Le principe de ce système est l’honneur, l’attrait pour la reconnaissance sociale ; le prince ne peut demander aux hommes de faire quelque chose qu’ils seraient incapables de faire en raison du déshonneur.
C’est le gouvernement que Montesquieu affectionne.
- Le gouvernement despotique
Un seul gouverne, mais sans règles préétablies, donc par ses caprices et sa propre volonté. Dans ses conditions, le prince n’ayant aucune contrainte qui l’oblige à respecter ses engagements, ni même à appliquer quelques règles qu’elles soient. Il peut déléguer toutes ses responsabilités à ses ministres. Le principe de ce gouvernement est la crainte, qui sert généralement dans les dictatures.
Chaque type de gouvernement forme une totalité nature-principe : c’est la raison de l’unification des lois d’un gouvernement donné. La corruption d’un gouvernement commence d’abord par la corruption du principe propre au gouvernement (lorsque dans une démocratie, les hommes perdent leur vertu par exemple).
Il critique largement le despotisme qu’il considère comme une structure vide. Ce gouvernement ne contient pas de structure politico-juridique (pas de la loi, pas d’écran entre les sujets et la loi, les sujets étant soumis aux caprices du despote). Il n’y a pour lui qu’un silence général où résonne la volonté du despote, et aucune structure sociale. Le despotisme est un état d’égalité extrême ; Montesquieu considère ainsi que l’uniformité constitue le terreau du despotisme. Lorsqu’il existe une égalité absolue entre les sujets, ils n’ont aucun pouvoir de résistance envers le souverain. Montesquieu met donc en garde contre les risques de l’égalité absolue.
Déjà sous l’Ancien Régime, les rois essayent d’élaborer des lois générales ne prenant pas en compte les particularités de chacun (les privilèges), afin de gommer les inégalités, rendant ainsi la chose plus simple et plus facile. Montesquieu constate ces égalitarisme et les dénonce car cela annonce le despotisme.
La solution serait donc de tempérer les puissances : par la recherche d’une balance sociale et par la séparation institutionnelle des pouvoirs.
Séparation des pouvoirs
Pour Montesquieu, la liberté n’est pas une liberté indépendance, c'est-à-dire que le but n’est pas de pouvoir faire tout ce que l’on veut, mais de donner la liberté de faire tout ce que les lois permettent. La loi détermine donc les limites de la liberté.
La mise en place de lois fixes permet d’éviter la constitution de régimes dont le principe est la crainte, celui qui gouverne devant se soumettre aux lois. Le but de Montesquieu est donc moins de protéger les droits subjectifs des individus que la limitation du pouvoir, qui doit contribuer à accroitre la liberté des hommes. Il distingue ainsi les gouvernements modérés tels que la démocratie et l’aristocratie des gouvernements non modérés, qui seuls seraient susceptibles de garantir les libertés. Ce n’est qu’avec la mise en place d’une constitution équilibrée et de lois garantissant la sureté aux individus que les hommes obtiennent leur liberté. Il s’agit donc pour Montesquieu de trouver des moyens qui limitent le pouvoir.
C’est donc dans le but de limiter le pouvoir qu’il imagine la séparation des pouvoirs. Déjà évoquée par Locke, elle suppose la modération du pouvoir par sa fragmentation : le but est d’empêcher la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme. Il faut en effet préserver les hommes de toute tentative de tyrannie du souverain et protéger leur liberté, et ce, en limitant le pouvoir par un autre pouvoir. « Le pouvoir arrête le pouvoir ». Mais ce principe n’est pas strict, et il peut y avoir des combinaisons des pouvoirs (avec le pouvoir de faire des lois pour l’exécutif par exemple), ou l’union de deux pouvoirs, ou plus généralement la simple collaboration entre pouvoirs.
Montesquieu distingue dans l’Esprit des lois trois fonctions distinctes nécessaires à la séparation des pouvoirs, prenant ainsi pour exemple la Constitution anglaise :
- Parlement : pouvoir législatif, élaboration et correction de règles par les magistrats
- Chef d’Etat : exécution des règles prévues par le pouvoir législatif, choses qui dépendent du droit des gens (diplomatie)
- Juridictions, qui puni et juge les différents entre individus, exécutrice des choses qui dépendent du droit civil (droit interne) : puissance judiciaire d’aujourd’hui
Les pouvoirs doivent être égaux sauf à risquer de devenir un régime absolutiste.
La séparation des pouvoirs de Montesquieu a été mal interprétée par la doctrine des 19e-20e siècles (Duguit, Carré de Malberg…). Il en est résulté une incompréhension. On a en effet pu croire qu’il s’agissant d’une séparation stricte des pouvoirs ; or, cela est irréalisable car elle entrainerait un cloisonnement. Il n’existe donc pas une stricte spécialisation (un seul organe pour un pouvoir) ni une stricte indépendance (pas de collaboration). Le cloisonnement conduirait à un régime du Directoire (seuls les coups d’Etat permettent d’en sortir) ou à un régime d’assemblée (empiètement de la loi sur l’exécutif).
Il ne faut pas de cumulation de deux pouvoirs dans les mains d’un seul. Le cumul peut être dangereux : lorsque trois fonctions sont réunies dans les mêmes mains, etc. Néanmoins, il faut des cumuls sur une partie des fonctions : par exemple, le droit de véto. Cela permet à chacun des pouvoir d’empêcher les autres et ainsi d’éviter leurs abus.
Le choix d’un régime
Montesquieu considère impossible la mise en place d’une démocratie directe dans nos sociétés modernes dans le cadre d’un Etat monarchique en raison de leur taille. La République n’est pas non plus praticable dans ce type de société. De plus, le principe qui régi la démocratie est la vertu ; or la vertu n’existe pas dans la société contemporaine. Il est donc nécessaire de prendre en compte les nouveaux intérêts de la population (par exemple l’égoïsme venu des relations commerciales, ou le nouveau souci du vivre et non plus du bien-vivre), et mettre de coté la morale ancienne.
Se plaçant à coté des Modernes, Montesquieu considère que la liberté ne passe pas par la participation au pouvoir, mais par la liberté de se mettre à l’abri du pouvoir et de se retirer dans sa sphère privée.
L’absolutisme est un danger. Le despotisme, c’est l’obéissance immédiate et la monarchie l’obéissance différée. La crainte existe dans un régime où toutes les menaces sont imprévisibles ; il faut donc établir des règles fixes qui retirent la crainte et apportent une certaine tranquillité d’esprit.
La relation politique se forme selon la relation aux lois. Selon lui, on n’obéit pas à la loi, mais on fait ce que la loi permet. La division des puissances pourrait permettre d’assurer une unité, pour éviter qu’une puissance anéantisse l’autre. Voit l constitution anglaise qui fixe les règles et qui énonce le refus de la confusion des puissances entres-elles, mais il n’apporte rien sur une éventuelle distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués. La finalité de la constitution est la sureté du citoyen.
Montesquieu voit dans le commerce un bon moyen de pacifier les relations entre les hommes, les faires communiquer. Il se place donc comme un avant-gardiste en science politique car il a permis l’évolution des valeurs.