Livres d'enfants
Les années 2000, puis 2010, ont ouvert la voie à de profonds remaniements d’ouvrages destinés à la jeunesse.
Certains récits ont été abrégés, tout comme l’ont été certains classiques comme Don Quichotte, dont le texte a été abrégé dans une édition jeunesse en 2005 (Le Livre de Poche Jeunesse): il ne représentait plus alors qu’un peu plus de 9% du texte original. Mais ces remises au goût du jour ne sont pas nouvelles. Déjà au 20e siècle, le célèbre ouvrage Le Tour de la France par deux enfants, publié en 1877, a ensuite été modifié dans les éditions suivantes afin d’en extraire certaines valeurs. Ainsi, alors qu’il prônait la morale et l’amour de la patrie et se référait à la religion, discrètement, les références à Dieu ont été supprimées en 1906, tout comme l’a été l’évocation de la Commune de Paris. De même, quand le livre original vantait les bienfaits du progrès et de la science, les rééditions préféraient évoquer des sujets plus adultes («dénonciation de la guerre, des grandes industries, du pouvoir de l’argent», remise en cause du travail, etc.).
Aussi le lecteur de 1960 lisait-il le livre de 1877 en se plongeant dans un monde qui n’était plus le sien, nourrissant ainsi le rêve et l’imagination. Il se familiarisait et s’imprégnait des façons de parler, et de vivre des personnages de l’époque. Il s’agissait là d’une aventure enrichissante nourrissant la culture historique, psychologique et sociale de l’enfant.
Aujourd’hui encore, le souci de conserver la culture historique inhérente à certains écrits reflétant l’esprit d’une époque conduit à écarter certaines œuvres de toute réécriture. La directrice des Bibliothèques rose et verte affirmait par exemple qu’elle ne réécrirait pas «la comtesse de Ségur, qui reflète l’esprit du 19e siècle». En revanche, des ouvrages plus récents sont jugés susceptibles d’être réécrits.
Simplifiés afin «de faire aimer les livres», il arrive ainsi que les tournures d’écriture de certains ouvrages soient modifiées pour les adapter à l’époque actuelle. Le niveau de lecture est alors abaissé afin de rendre le livre plus intelligible.
Ces réécritures sont aussi l’occasion d’amener de nouvelles idéologies (importance de l’image, politiquement correct, stimulations permanentes, etc.).
Ainsi les idées et les manières de parler du passé sont-elles supprimées. L’apprentissage de mots ou d’expressions aujourd’hui peu usités est ainsi entravé. En outre, cette rupture avec le passé ne favorise pas la transmission générationnelle et empêche la connaissance de prénoms anciens ou d’ancestrales cultures. Et in fine, cela risque de rendre difficile la lecture ultérieure de livres anciens par des jeunes devenus adultes.
Or d’aucuns constatent plus généralement que depuis les années 2010, la littérature jeunesse dans son ensemble est marquée par un appauvrissement général de la langue, lié à l’utilisation systématique du présent, la simplification du vocabulaire, la rapidité de la narration ou encore la suppression des longues descriptions.
De surcroît, l’utilisation plus fréquente du présent réduit la distance que le passé simple conférait au récit, de même qu’elle atténue le recul que procure habituellement l’écrit.
Toutefois, il faut rappeler que la modernisation de livres pour enfants ne concerne que certains ouvrages et que nombre d’observateurs estiment ces réécritures nécessaires et bienvenues.
Un exemple : Le Club des cinq
Comme Martine, les aventures du Club des cinq ont fait l’objet de rééditions de plus en plus simplifiées et édulcorées. Au terme d’une longue évolution déjà bien entamée dans les années 1970 — avec d’importantes coupes dans les textes et la suppression d’images — c’est au cours des années 2000 que de profondes transformations ont lieu. Certains titres sont alors modifiés: «Le Club des Cinq et les saltimbanques» est par exemple renommé «Le Club des Cinq et le Cirque de l’Étoile»; les connotations négatives sont ainsi évacuées, tout comme les phrases sexistes ou racistes. Surtout, le passé simple est remplacé par le présent car jugé plus adapté «au rythme trépidant des enquêtes» et moins difficile d’accès, tandis que les «nous» deviennent des «on» et que le vouvoiement des adultes envers les enfants est évacué.
Le texte est en outre raccourci et les bavardages supprimés. Et pour cause, certaines phrases sont retirées quand les descriptions se voient considérablement réduites. Dans le même temps disparaissent donc certaines expressions («être soupe au lait», «se rengorger», etc.) ou manières de s’exprimer. Des mots de vocabulaires sont ainsi retirés: par exemple, plutôt que d’écrire «le lac refléta de merveilleux tons de pourpre et d’or», la nouvelle édition préfère: «le lac prend des reflets dorés». Le vocabulaire jugé désuet est lui aussi abandonné et c’est ainsi que les «pans trempés de sa robe de chambre» deviennent les «ourlets de son bas de pyjama»; de même, le mot «sidérés» a remplacé «stupéfaits», tout comme «vraiment super» s’est substitué à «tellement merveilleux».
En se rapprochant du langage jeune, ces ouvrages tendent à devenir plus divertissants, ce que cherchaient déjà à faire les éditeurs dans les années 1970. Les mots complexes ont en effet été supprimés dès 1976 (ex: «héliographie»). En 2017, c’est le mot «lainage» qui disparaît par rapport à l’édition des années 1960.
Au-delà des mots, ce sont aussi des tournures de phrases qui sont simplifiées. «Mon bon Dagobert !» devient par exemple «Salut, toi !»; de même, la tournure «n’avaient rien que de naturel» se voit remplacée par: «étaient tout à fait naturelles». Les nouvelles manières de s’exprimer modifient également des phrases comme: «Nous avons bon appétit, les uns et les autres.», remplacée par «Vu l’appétit de certains d’entre nous...»
En sus du texte, c’est la psychologie des personnages qui se voit simplifiée. Leurs motivations psychologiques ont été affaiblies par la légèreté de l’histoire, mais aussi par la suppression d’évènements qui expliquaient l’attitude de chaque personnage; en effet, ces facteurs explicatifs se trouvaient peu en accord avec l’évolution sociale et morale actuelle (ex: enfant battu, méfiance des étrangers).
Ce souffle de modernité concerne aussi les illustrations, dont la sobriété d’antan contrariant l’identification aux personnages. Les nouveaux dessins permettent mieux d’exprimer les sentiments des personnages (ex: sourcils froncés, regard conquérant) et les couleurs vives favorisent l’immersion par leur attrait. A contrario, les anciennes couleurs pastel et les dessins rarement focalisés sur les visages des personnages encourageaient la mise en retrait du lecteur.
Face à ces profonds changements, d’aucuns se sont insurgés, dénonçant la perte de charme ou déplorant «une histoire platement rédigée» non justifiée par le ciblage d’un public plus jeune.