A l'école
Le secteur de l’enseignement a fait l’objet d’innombrables réformes au 20e siècle, remettant régulièrement en question l’apprentissage de la lecture comme celui de la grammaire.
C’est ainsi que jusque dans les années 1970 par exemple, l’enseignement grammatical s’est voulu concret, partant de textes que les élèves avaient sous les yeux. L’élève allait ainsi de l’exemple à la règle puis à l’application: après une phase d’observation, il se voyait expliquer une règle, qu’il appliquait ensuite. La mémorisation, l’automatisation et l’application constituaient donc les piliers de cet apprentissage.
Après cette date, la démarche consistera plutôt à tirer la règle de phrases modèles, puis, dans les années 2000, à s’orienter vers une «observation réfléchie de la langue». De l’observation d’une phrase, l’élève devait en effet pouvoir déduire des règles grammaticales (grammaire de texte). Cette démarche réflexive visant la compréhension du fonctionnement de la langue va cependant être remise en cause dans les années qui suivent. En pratique, la méthode s’est en effet avérée peu concluante. Mais étant peu mise en œuvre par les enseignants, cette prise de conscience a été tardive.
On lui préférait la traditionnelle «méthode syllabique» apparue au 18e siècle et qui prône l’apprentissage des lettres ou des syllabes afin de former des mots. Pour les contemporains du 19e siècle, cette méthode apportait un enseignement solide. Comme l’affirmait en 1880 Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique, il faut partir de la langue telle qu’elle est dans son environnement linguistique réel pour comprendre son fonctionnement.
Beaucoup d’instituteurs vont ensuite cependant appliquer des méthodes mixtes, avant que les manuels récents n’invitent généralement à l’apprentissage de la lecture par lettre (ex: «la lettre c»), non à l’étude des syllabes par celle des sons («en», «ou»).
Certaines préconisations étatiques, notamment en grammaire, vont également se normaliser et évoluer dans le temps. Un foisonnement de notions et de sigles (COD, COI, COS, CDV, GS (Groupe Sujet), S (sujet), GNS ou GNs (Groupe Nominal sujet), etc.) vont se substituer aux anciennes, voire parfois naître et disparaître (ex: prédicat). En 2018, l’Education nationale préconisait par exemple d’employer le mot «verbe» pour désigner la catégorie grammaticale ainsi que la fonction syntaxique. Ces changements sont significatifs de l’évolution générale qu’a connu l’enseignement, entre volonté de simplification et effets de complexification.
De même, les liens effectués entre les différentes disciplines (art, littérature, etc.) dans le cadre de projets ont pu accroître cette impression de cafouillage. Certains ont ainsi relevé les risques que cela faisait courir dans la construction et la conceptualisation de notions importantes.
L’apprentissage par une forme d’abstraction a pu éloigner du réel, tout comme la fin des anciennes leçons de choses. Celles-ci devaient rendre intelligibles les objets familiers aux élèves, puis les expliciter par les sciences physiques, ou l’histoire naturelle. Un morceau de verre, par exemple, conduira à faire exprimer les élèves sur ce qu’ils en savent, puis à dépasser cette observation familière pour s’occuper de la fabrication du verre, l’histoire du verre ou encore de ses propriétés optiques. L’élève devait ainsi apprendre à «se servir de ses sens, de son intelligence, de son raisonnement» sur ce qui l’environne afin d’accroître lui-même son savoir. A ces leçons de choses s’ajoutaient l’inculcation de valeurs et d’une morale déterminées. Au 21e siècle encore, des valeurs sont inculquées. Mais leur nature, comme la manière de les transmettre, a évolué. A présent, il ne sera pas rare que ce soit par le biais de l’affect que l’élève se voit extraire des valeurs; son implication émotionnelle est ainsi requise.
Les élèves sont en effet fréquemment invités à s’identifier aux personnages pour comprendre leurs motivations, faisant dès lors jouer à l’école un rôle d’éducateur aux émotions, à la sensibilité. Dans un manuel de CM2 par exemple, l’importance de devenir soi constitue l’un des objectifs, comme en atteste un chapitre intitulé: «Quel courage! Se découvrir, s’affirmer dans le rapport aux autres, Etre enfant dans un monde adulte». On incite alors l’élève à participer à ce qui s’apparente à une expérience:
- «Tu vas rencontrer des personnages courageux, dont les émotions peuvent être proches des tiennes».
De même, dans une pièce de théâtre, on demande à l’élève: «Comment un jeune lecteur peut-il en effet ne pas s’émouvoir, comme Reda qui « se met à pleurer »».
Au-delà des émotions que l’on suscite chez lui, l’élève est également incité à exprimer ses opinions pour faire émerger certaines valeurs. Sur la base de différents supports textuels, et notamment les contes merveilleux, ils sont en effet invités à débattre des valeurs transmises. Autrefois bannis afin d’éviter les «errances néfastes sur ce qu’il faut apprendre et sur ce qu’il faut croire», les contes pour enfants sont ainsi désormais jugés utiles. Par exemple, La Belle et la bête permet de «réfléchir au respect de la différence», avec pour interrogation: «La différence amène-t-elle à l’exclusion?»). On questionne ainsi le sens du conte afin d’en extraire des valeurs (tolérance envers les minorités, respect des femmes et de la différence) et de se forger un jugement personnel réfléchi.
Par ailleurs, les livres destinés aux jeunes enfants prônent des valeurs de liberté, de préservation de l’environnement, d’ouverture à l’autre ou encore l’esprit critique. On les incite aussi à développer une sensibilité «aux effets esthétiques».
On est ainsi loin des anciennes valeurs et de la morale transmises par les anciens manuels. Jusque dans les années 1950, les contes choisis comme supports de valeurs morales mettaient en avant le devoir envers les aïeux, la dénonciation de l’égoïsme ou encore l’importance de la fidélité. Ces valeurs n’étaient ni interrogées, ni remises en question. Ensuite, et dès les années 1960, de nouvelles valeurs sociales émergent tandis que certaines persistent encore (obéissance, etc.). Déjà on demande à l’élève d’exprimer un point de vue personnel et de faire preuve d’une certaine imagination; l’expression personnelle, le débat et la créativité sont privilégiés. C’est à cette époque que les contes merveilleux vont acquérir de l’importance.
Mais dans les années 2000, le merveilleux des contes n’est plus nécessairement requis. Certains contes relativement macabres pourront aussi amener à un débat constructif apportant un sens concret et utile au récit. Les personnages sont porteurs de valeurs et c’est par le biais de l’identification qu’elles sont désormais transmises. C’est ainsi moins par autorité que par investissement émotionnel que les enfants se voient inculquer des valeurs de respect ou de solidarité à travers les inégalités vécues par les héros auxquels ils sont amenés à s’identifier. L’injustice devra être sensiblement vécue.
D’ailleurs, dans le «programme d’enseignement moral et civique», l’Education nationale rappelle l’importance de la sensibilité, car il n’est «pas de conscience morale qui ne s’émeuve, ne s’enthousiasme ou ne s’indigne. L’éducation à la sensibilité vise à mieux connaître et identifier ses sentiments et émotions, à les mettre en mots et à les discuter, et à mieux comprendre ceux d’autrui».
C’est aussi l’orientation que prendra la littérature, en sollicitant largement l’avis personnel des élèves plus âgés. Dans les textes officiels de 1971 relatifs à l’essai littéraire, les questions de cours et la complexité («ambitieux débats critiques») sont écartées au profit de questions simples faisant appel «aux réactions authentiques que le candidat a éprouvées».
Dès lors, nombre de disciplines imposant une certaine rigueur intellectuelle ont été simplifiées quand d’autres se voyaient marginalisées. La philosophie en est un cas d’école: le pouvoir politique des années 1960-1970 a encouragé le développement des sections scientifiques et techniques ou détriment de la culture classique lettrée. Aussi le souci d’une telle culture (textes traduits de l’Antiquité, etc.), qui irriguait les instructions de 1947, a-t-il été amplement atténué. L’objectif d’alors consistait plutôt à répondre aux besoins économiques de l’époque. Les entreprises recherchent alors une main d’œuvre qualifiée.
Ainsi, l’objectif est moins de transmettre des connaissances et des savoirs aux élèves que de leur apporter des compétences (savoir-faire et savoir-être). Cette idée, présente dès les années 1990 à l’échelle européenne, a ensuite été reprise en France, en 2005, par la loi Fillon: le Socle commun des connaissances et des compétences, qui reprend les directives européennes autant que les préconisations fixées par l’OCDE pour les pays développés, demande ainsi que les élèves maîtrisent huit compétences (ex: «l’esprit d’initiative et d’entreprise», «la compétence numérique»). La France reprend ainsi à son compte l’ambition de l’Union européenne, celle de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».
Dans cette marche vers le renouvellement des programmes scolaires, les mathématiques sont également emblématiques. Dans les années 1960-1970, l’avènement de la société industrielle impose en effet un renouveau de cet enseignement, qui se traduira par l’apparition des «mathématiques modernes». Ceux-ci vont rajeunir l’enseignement classique, en grande partie fondé sur la géométrie, l’arithmétique et la trigonométrie.
Les mutations que la discipline a connu au 20e siècle doivent en effet être intégrées à l’école afin d’élever le niveau scientifique général. C’est ainsi que l’enseignement va devenir plus abstrait dès l’école primaire et que se développera la pensée logique. L’algèbre linéaire remplacerait toute l’ancienne géométrie et moult termes nouveaux devront être acquis. Les multiples signes (d’ensemble E, d’inclusion C, l’intersection U) deviennent autant de connaissances formalisées à adopter. Cet apprentissage étant lourd, il se fera sur un temps plus long, favorisé par l’évolution de la société.
On mise donc sur le progrès, l’apprentissage au long cours. Mais ces réformes, rarement effectuées en concertation avec les enseignants, conduisent nombre d’entre eux à s’élever contre l’inculcation d’une trop grande abstraction, peu adaptée aux élèves qui ne sont pas doués en mathématiques et réservée à une élite. Si ces méthodes seront donc parfois remises en cause, certaines vont toutefois s’imposer et modifier la manière dont les élèves apprennent les bases. L’apprentissage de l’opération de division, autrefois enseignée comme l’inverse d’une multiplication, est par exemple désormais appréhendée comme une suite de soustractions successives. De même, la raréfaction du calcul mental aura des conséquences sur la manière d’apprendre.
Face à ces nouvelles pédagogies, beaucoup de parents se sentiront déroutés, incapables de comprendre ce qu’apprennent leurs enfants. Quant aux professeurs, leur rôle sera changé puisque de « maîtres », ils se transformeront en « animateurs ». Au cours traditionnel et froid, on a donc substitué une transmission vivante et concrète. Cette transition a par exemple conduit à inscrire de nouvelles lectures dans les programmes de littérature; ceux-ci se sont en effet orientés vers des œuvres complètes du 20e siècle dès les années 1970 alors que les romanciers du 19e siècle n’étaient apparus qu’en 1925 dans les programmes.
Plus généralement, c’est un allègement des programmes scolaires qui s’est effectué dans les années 1970 pour s’accentuer dans les années 1990, rendant in fine les apprentissages plus superficiels. Dans un ouvrage d’histoire de 1963, l’avant-propos expliquait déjà ce parti-pris: l’édition a procédé à un «allègement important du contenu évènementiel au profit des aspects concrets et vivants de l’histoire».
En histoire en effet, la manière d’apprendre a changé: on est passé d’un cours chronologique à un apprentissage par «thèmes». L’accent est donc mis sur certains concepts (ex: totalitarisme) et annihile toute causalité en éludant certains sujets cruciaux (ex: crise de 1929). Ainsi, «la première guerre mondiale devient le simple résultat de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo…» et le concept de totalitarisme englobe fascisme et communisme dans un flou qui gomme certains pans de l’histoire devenus dès lors inexplicables (ex: pourquoi les communistes ont-ils lutté contre le fascisme?).
L’approche thématique brouille les repères et entrave l’apprentissage d’une chronologie historique comme fruit de multiples évènements et jeux d’influence sociaux, politiques et économiques. Il devient alors difficile pour les élèves de replacer les évènements étudiés dans un enchainement cohérent. Cela explique que les grands repères historiques ne soient pas nécessairement maitrisés en classe de Terminale et qu’au fil de l’évolution des programmes, on ait constaté une baisse de l’intérêt des élèves pour cette discipline.