Conformisme

Le conformisme est le processus par lequel un individu modifie ses croyances, ses attitudes ou son comportement sous l’effet d’une pression non explicite du groupe. Ce dernier impose des modèles de conduite et de jugement (quand bien même le groupe serait dans l'erreur) aux individus, qui acceptent les normes dominantes sous l’influence de la majorité (influence majoritaire). Ce mécanisme qui favorise l'adoption de comportements socialement approuvés permet à la société de perdurer.

Expériences sur l'influence majoritaire

Le processus de conformité a été étudié à travers les expériences menées par Asch à partir de 1951. Il s'agissait de comprendre si les individus se conforment à une majorité lorsqu’ils pensent pourtant qu’elle a tort.

Il s'agissait de présenter à un individu une feuille sur laquelle se trouvait une ligne noire et de lui demander de comparer la longueur de cette ligne à celle de trois autres. Mais l'individu n'est pas seul : d'autres personnes donnent oralement leur réponse. Il s'agit en réalité de compères, qui donnent unanimement des réponses fausses. Face à ces avis unanimes et sans pression explicite, une partie des individus (environ 33% des sujets) se laisse influencer en donne la même réponse que les compères alors qu'ils constatent objectivement l'inverse.

Ces expériences sur l’influence majoritaire ont montré qu'un sujet peut se soumettre aux normes d'un groupe en dehors de toute pression explicite pr l’uniformité. Cependant, l'individu se conforme à la réponse erronée environ quatre fois sur douze, ce qui montre que l’indépendance domine.

En outre, Moscovici (1972) considère que c'est la confrontation entre le système du sujet et celui de la majorité qui conduit à la conformité. Il ne s'agit donc pas d'une simple soumission à la pression majoritaire, mais d'une négociation.

Le conformisme varie selon la taille du groupe: il est moindre lorsque l’individu est seul face à une personne, puis augmente jusqu’à trois personnes. Ensuite, le conformisme ne varie plus selon la taille du groupe. Ainsi, quelque soit le nombre d’individus présents dans le groupe, le conformisme sera aussi important.

Types de conformisme

Selon Kelman (1958), on peut distinguer plusieurs niveaux de conformisme:

  • l'acquiescement/la complaisance : forme de suivisme simple qui a lieu lorsque l'individu cherche l'approbation du groupe ; cette adhésion dépend du regard d'autrui, d'une surveillance extérieure qui conduit l'individu à n'adhérer qu'en public.
  • l'identification : l'individu désire ressembler à un groupe et adopte ses caractéristiques (ex: l'individu admire par exemple un chanteur et adopte son look) ; l'acceptation est alors à la fois publique et privée, mais diminuera en cas d'éloignement par rapport au groupe.
  • l'intériorisation : ayant intégré un nouveau système de pensée, l'individu croit réellement dans ses opinions ; ce type de conformisme n'a plus besoin de surveillance extérieure et s'inscrit durablement chez l'individu.

Un conflit intérieur

En tant qu'être sociaux, les individus sont au contact d'un environnement social susceptible de les impacter (approbation ou rejet) et qui les pousse à se rendre dépendant d'autrui (par conformisme). Mais parallèlement, l'individu a aussi besoin de se différencier des autres. Il existe donc une tension entre ses manières d'être et de penser singulières et les normes imposées par le groupe. En effet, une simple divergence entre l’individu et les autres suffit à générer un inconfort qui crée de l’incertitude et de l’anxiété qu’il est possible de supprimer en se rendant dépendant d’autrui. Aussi l'individu isolé est-il plus sujet au conformisme.

Pour Deutsch et Gérard (1971), le conformisme dérive d’un besoin individuel d’approbation du groupe, d’un besoin d’être accepté socialement, d’éviter les critiques (influence normative). Le conformisme s‘expliquerait donc par la tendance des individus à éviter de paraître ridicule aux yeux des autres, à être bien vu, car la transgression des normes est punie par les autres membres du groupe. Mais le conformisme peut aussi résulter de la prise en compte des informations venant d'autrui (influence informationnelle): l'information provenant de la majorité est considérée comme une vérité. C'est en fonction des compétences et de la crédibilité de la source d'information que les individus vont fonder leur jugement. En complément, certains chercheurs (Personnaz, 1976) ont montré que la dépendance porte sur la source d'influence. Un individu peut en effet se montrer impressionné par quelqu'un, ce qui produit chez lui une influence qui va durer le temps de sa présence ; ensuite, l'individu retrouve ses propres jugements et perceptions.

Pour réduire la tension entre ce qu'est l'individu et les pressions extérieures auxquelles il est soumis, celui-ci peut donc adhérer aux influences extérieures, niant ainsi une part de son ancien comportement pour s'affirmer dans un nouveau. En modifiant ainsi sa conduite pour appliquer la norme du groupe qui lui est imposée, cela conduit à accroître la concordance entre ses attitudes et ses jugements. De son côté, le groupe ne craint plus un défaut de cohésion ; en éliminant la déviance, le groupe réduit ses conflits internes.

L'individu a peur d'être rejeté par le groupe et se sent donc obligé de se conformer aux normes qu'il approuve ; il est persuadé qu'il sera rejeté en cas de déviance; l'individu se trouve donc face à un choix: rester dans le groupe ou conserver son jugement et ses attitudes personnelles. Il peut ainsi choisir de demeurer dans le groupe en se soumettant à la norme et ainsi de restreindre son autonomie; il est alors approuvé socialement et bénéficie d'un gain affectif qui le lie. Cela crée en effet une dépendance à l'égard de la norme majoritaire.

L'individu réduit donc sa tension en se conformant plus ou moins : soit individu accepte la pression du groupe en s'appropriant ses idées, soit il conserve des idées différents et subit la pression. Ainsi, on peut considérer trois situations :

  • soit il refuse de se conformer, ce qui lui vaut d'être rejeté (déviance) ;
  • soit il se soumet à la pression tout en conservant ses propres jugements (conformisme) ;
  • soit il accepte la pression du groupe en adoptant ses normes (normalisation). Parfois, l'individu peut aller plus loin dans le conformisme en adoptant un comportement de conformité supérieure de soi (ou Primus Inter Pares). Il s'agit pour lui de se présenter comme plus conforme encore aux normes sociales que le groupe lui-même (ex: être encore plus altruiste que ce que demande le groupe).

Il convient enfin de distinguer le conformisme qui se manifeste par une adhésion publique (quand l'influence normative domine) de celui qui s'exprime par une adhésion à la fois publique et privée (quant l'influence informationnelle domine).

Caractéristiques favorisant le conformisme

Selon Asch, la conformité augmente avec la taille du groupe (jusqu'à 4 personnes), puis diminue. Mais cela dépend du nombre de personnes qui exercent une pression sur le groupe (Latane et Wolf, 1981). Si un déviant est présent dans le groupe, la conformité sera moins grande. En effet, grâce à cette présence, l'individu a moins peur de l'exclusion, ce qui diminue sa tendance à la conformité. Ce phénomène est d'autant plus fort que le statut ou les compétences de la personne déviante sont importants.

Aussi, on constate que la pression exercée par la majorité est forte quand la norme est largement acceptée et partagée.

La conformité peut également s'expliquer par le type de tâche à effectuer : lorsque la tâche est difficile, la conformité est plus importante puisque les individus recourent au groupe pour obtenir des informations. A l’inverse, lorsque la situation est claire, l’individu a tendance à rester plus hermétique à la pression du groupe. Mais souvent, lorsque la tâche est aisée, c'est la pression normative qui domine ; le groupe réclame en effet généralement une soumission à ses règles. Et pur cause, dès lors qu'un individu dévie de ces règles, cela peut faire vaciller le cohésion du groupe.

De son côté, l'individu qui se conforme le fait car il cherche l'approbation de ses pairs, recherchant l'harmonie avec les autres. Cette tendance à la conformité est donc plus grande chez celui qui a peu confiance en lui. En effet, certains chercheurs (Worchel et Cooper, 1976) ont avancé que les personnes qui croient en leurs propres capacités ont moins tendance à rechercher l'aide d'un groupe.

Crutchfield (1955) a étudié les caractéristiques des personnes prédisposées à se conformer à un groupe: il en ressort que ces personnes sont généralement moins intelligents et qu'ils avaient un plus grand complexe d'infériorité ainsi qu'une moindre spontanéité; ils étaient plus autoritaires et avaient davantage de préjugés. Toutefois, cette description individuelle ne rend pas compte du processus social déterminant la conformité.

Le conformisme aujourd'hui

Ces dernières décennies, l'augmentation de la solitude et de la précarité ont accompagné le déclin des règles religieuses et traditionnelles. Sans repères qui favorisent l'acquisition d'une plus grande autonomie, l'individu s'est alors progressivement éloigné des autres. Ce phénomène a été accentué par les nouvelles normes imposées dans la vie professionnelle, mais aussi par la société, où s'est accrue la concurrence. A cela s'ajoute la multiplication des changements (familiaux, professionnels, etc.) au cours d'une vie, ce qui précarise l'individu et l'isolent parfois encore davantage.

Mais en dépit de ces facteurs qui éloignent les individus les uns des autres, l'être humain demeure un être social. Il se compare aux autres, se conforme à ceux qu'il estime plus proches de lui et respectent des règles. Bien que devenues fluctuantes et locales, les normes demeurent en effet prégnantes. Les grandes normes communes et traditionnelles ont laissé la place à des normes à géométrie variable, qui dépendent des lieux et des situations que rencontre l'individu. Le conformisme a ainsi changé de nature, mais il persiste une interdépendance entre les individus.

Ainsi, plus l'individu s'éloigne des autres, plus son besoin de conformisme semble grand pour éviter que cet écart ne se creuse davantage. Il cherche à ne pas se couper davantage de ceux de son milieu pour éviter l'isolement social. Cela se passe à l'école, où beaucoup d'élèves choisissent la même orientation que leurs camarades les plus proches. Cela se passe aussi au travail, lorsque les salariés s'adaptent au niveau d'implication professionnelle de leurs collègues.