L'éducation comme perfectionnement de l’homme
« Créer » l’homme en l’éduquant, voilà la tâche que fixe
Rousseau dans L’Emile. Défi à la nature, l’éducation
constituerait une échappatoire à l'état naturel qui a construit
l’homme comme un être imparfait et mauvais. Destinée à rendre
l’homme bon, l'éducation aurait pour but de permettre la bonne
entente entre les hommes (Kant).
Lieu de « dressage » selon Michel Foucault, dans lequel seul
compte la discipline, l’école doit néanmoins garantir une bonne
éducation, qui devrait fournir des critères de jugement et non pas
préparer l’écolier selon son utilité pour le système économique
(André Gorz).
Les méthodes d’enseignement
Pour la plupart des philosophes des Lumières, l'apprentissage
passait pas l'expérience. Les voyages effectués par Candide
permettaient en effet au jeune homme de se renforcer mentalement,
de mieux connaître le monde qui l'entoure.
Mais en se démocratisant, l'éducation est devenue plus
"scolaire" car elle est considérée comme un pari sur l’avenir : les
enfants sont éduqués pour devenir des citoyens honnêtes et
travailleurs. L'éducation serait donc le moyen de fonder le capital
humain de chaque individu ; l’inculcation de valeurs construit
progressivement ce capital humain (G. Becker). Pour certains, ces
valeurs, considérées comme républicaines (notamment les valeurs
véhiculées par l’éducation civique), sont enseignées afin de
garantir la soumission volontaire du peuple (M. Foucault).
Mais les valeurs républicaines auxquelles l'école est attachée
semblent progressivement s'estomper. Le principe de méritocratie
tend à disparaître car beaucoup considèrent que "l'ascenseur social
est en panne". Ainsi, si l’émergence du système républicain a
permis la massification de l’éducation, les possibilités qui
semblaient offertes sous cette effervescence de valeurs modernes
semblent s’effacer.
Aussi, les méthodes d'éducation ont largement évolué. A
l'enseignement classique autoritaire s'est progressivement
substitué une éducation plus souple, adaptée aux besoins des
élèves, qui peuvent exprimer les opinions. Mais pour certains,
cette « crise de l’autorité », au sens d’Hannah Arendt, est
contemporaine du déclin de la crédibilité des enseignants,
autrefois très respectés.
Massification de l’école
Alors que, sous l’Ancien Régime, seuls quelques uns accèdent au
savoir, à la Renaissance, les premiers bourgeois ont
progressivement bénéficié de la création d'universités un peu
partout en Europe. Enjeu de pouvoir, le savoir est ainsi
progressivement devenu donc un gage de qualité. Le courant des
Lumières ne fera que confirmer l’idée d’un homme moderne, gouverné
par la raison, car instruit.
Les diverses péripéties qui fondent la France républicaine
entrainent avec elles l’avènement de l’éducation du plus grand
nombre. De la Constitution de 1793 instituant que « l’instruction
est le bien de tous » aux lois républicaines de Jules Ferry en
1882, il n’y a qu’un pas : le but est d'éduquer la masse ignorante,
et souvent analphabète, en introduisant un enseignement laïque,
gratuit, et obligatoire. Ainsi, les Lois Falloux cherchent à
circonscrire les contestations éventuelles des futures générations,
à une époque où les révolutions entrainent des fluctuations
politiques importantes.
Devenu « devoir d’Etat », l’enseignement se banalise et les
années 1970 connaissent une explosion du nombre d’étudiants.
Aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2012, 84,5% des
élèves d’une génération ont le bac. Mais cela a pour effet
d'accroître considérablement le nombre de travailleurs sur le
marché de l'emploi, alors que l'offre d'emploi n'augmente pas. La
situation économique et les perspectives incertaines des jeunes ont
conduit l'école à devenir un lieu d'enjeux qui la dépassent. Les
actes de violence et l'affaiblissement de l'autorité enseignante
sont autant de facteurs significatifs de ce malaise.
Les fonctions de l’éducation
L’école instruit les enfants, mais elle a aussi pour but de les
éduquer. L’école doit apprendre les valeurs essentielles de la vie
; elle apprend le savoir et le savoir être.
L'école est lieu qui met en contact l'enfant et la société. Elle
permet donc de civiliser l’enfant, de l’intégrer à la société.
C’est en effet à l’école qu’il se trouve pour la première fois
réellement en contact avec la société. On considère généralement
que l’école rend l’élève citoyen. Elle prépare l’enfant à devenir
un adulte responsable, conscient du monde qui l’entoure, ouvert sur
celui-ci.
L'école a surtout vocation à transmettre un savoir. De
nombreuses connaissances sont emmagasinées dès le plus jeune âge,
de différentes manières. Les méthodes d’éducation ont beaucoup
évolué depuis le début de l’école. L’idée classique de l’éducation
est d’apprendre ce qui a été fait par les autres pour se former
soit même. On apprend ainsi passivement les règles morales, la
science et d’autres matières, afin de devenir un bon citoyen. Les
élèves sont alors passifs, ils acquièrent ainsi leur propre morale
et leurs propres valeurs en fonction de ce qu’on leur a enseigné.
Mais après mai 1968, les codes sont inversés et on privilégie moins
sur la rigueur et la discipline que sur la libre expression et le
partage. Cette nouvelle façon d'enseigner renoue avec les préceptes
développés par Rousseau lorsqu'il préconise l’insoumission de
l’enfant face au maître et sa préservation de toute atteinte
extérieure. Le but alors de placer l’enfant au centre du système,
de leur laisser une vraie autonomie dans l'enseignement. Mais ce
système d’autonomie laissé à l’élève peut limiter l’inculcation de
valeurs, de morale, et ainsi retirer à l’école une partie de son
objet.
Les nouveaux modes éducatifs apportés par les nouvelles
technologies ont modifié les façons d'apprendre. En accroissant les
moyens d’obtenir des connaissances, l'enseignement est devenu plus
interactif, plus vivant. Cela a pu entrainer une perte de prestige
de l’éducation, et entrainer un sentiment de décalage entre la
réalité et l’enseignement.
Malgré ces bouleversements dans l'enseignement, on assiste
aujourd'hui à un retour relatif aux valeurs d'autrefois pour faire
face à la montée du laxisme, voire de la violence au sein de
l’école. Certains misent désormais à nouveau sur la discipline, et
restaurent les rapports d’autorité entre le maitre et ses élèves,
tout en conservant les valeurs apportées au cours du siècle
dernier.
L’éducation en question
La massification de l’école et les principes d'éducation pour
tous ont trouvé leurs limites depuis quelques décennies. Alors que
quelques 29 % d’élèves des grandes écoles (ENA, Ecole Normale
Supérieur, HEC…) étaient issus de milieux ouvriers en 1950, ils ne
sont plus qu'environ 10 %. Ces chiffres révèlent l'échec de la
"méritocratie", concept pourtant cher à la République, remettant en
cause le système éducatif.
L’élitisme impulsé par Napoléon (création des Lycées, création
des titres reconnaissant le mérite de chacun comme la Légion
d’honneur) devait avoir pour effet de créer une élite dirigeante
destinée à révéler la grandeur de la France, tel un soft power.
Mais l’élitisme qui devait récompenser les meilleurs, est devenu
l'apanage de certains privilégiés. Pour Pareto, les élites sont
destinées à se reproduire ; la « noblesse d’Etat », dénoncée par
Pierre Bourdieu, ne permettrait par l’entrée des élèves excellents
dans les plus hautes fonctions, seuls les privilégiés pouvant
accéder à ces fonctions, et notamment aux responsabilités
politiques. De surcroit, les grandes écoles prépareraient
d’avantage à la réussite personnelle qu’aux responsabilités
publiques ; nous sommes face à une « crise de l’intelligence » (M.
Crozier).
L’« élitisme républicain » étant en panne, il était nécessaire
de sortir de cette situation afin que chacun puisse avoir sa chance
et qu’on ne fasse plus croire aux élèves que « chacun peut s’en
sortir » (Bourdieu). De nombreuses mesures politiques ont donc vu
le jour. L’égalité des chances est devenu un cheval de bataille
primordial qui place la discrimination positive au coeur de son
projet. Ainsi, des classes préparant aux grandes écoles ont vu le
jour dans certaines Zones d’Education Prioritaires (ZEP). Mais de
nombreuses mesures restent sans réels effets positifs, et les
mesures de discrimination positive ne prennent pas en compte toutes
les inégalités sociales (Paris/province, etc.). Pour Raymond
Boudon, il faudrait donc d'abord rechercher l’égalité sociale pour
parvenir à une véritable égalité des chances.