Mise à jour : September 2024

Turquie

Issue de l’Empire ottoman, la Turquie est une république démocratique et laïque ; elle est officiellement candidate à l’entrée dans l’Union européenne depuis 1999. Le pays est un territoire stratégique : par ses détroits, il est un lieu de passage des pétroliers (le Bosphore), mais aussi des oléoducs vers la Méditerranée. En raison de son histoire et de sa localisation géographique, la Turquie a toujours lié Orient et Occident, bien que le pays ne soit pas arabe. Mais aujourd’hui, les Turcs s’éloignent des pays occidentaux, très critiques envers les dérives autoritaires du président Erdogan.

Bref historique

Né au 14e siècle, l’Empire ottoman a connu son apogée sous le règne de Soliman le Magnifique (1520-1566), avant de voir son territoire peu à peu réduit à partir des 18-19e siècles. C’est ainsi qu’au début du 20e siècle, le traité de Sèvres de 1920 va réduire l’Empire à une partie seulement de l’Asie Mineure, prévoyant la constitution d’un État arménien et envisageant un Kurdistan indépendant. Inacceptable pour les Turcs, cette situation est combattue par Mustafa Kemal, un grand chef de guerre qui proclamera la naissance de la République de Turquie en 1923, après l’abolition du sultanat. Il deviendt alors le président d’une République qu’il va moderniser et occidentaliser (adoption de l’alphabet latin, interdiction du port du voile pour les femmes et du turban pour les hommes, développement de l’éducation sous le contrôle de l’État, vote des femmes, etc.). Menant une politique à la fois autoritaire et nationaliste, il sera nommé Père de la nation, Atatürk. Des décennies plus tard, prenant le contre pied du kémalisme, Erdogan alimentera le rêve ottoman, partageant avec son prédecesseur un vif nationalisme hérité de la crainte d’une dislocation de l’Etat née de Sèvres. Cela explique l’attitude discriminante à l’égard des minorités (ex: Alévis), mais aussi la politique intransigeante menée contre les Kurdes.

Politique intérieure

La Turquie est une république parlementaire dont le paysage politique est marqué par le rôle crucial que joue le Parti de la justice et du développement (AKP), parti islamo-conservateur. Bien que le pays soit laïc, il a gagné en importance depuis le début des années 2000 et l’un de ses fondateurs, Erdogan, mutliplie peu à peu les références religieuses. Désireux de restaurer un ordre moral très conservateur (ex: pénalisation de l’adultère), l’homme va incarner un islamisme politique, mais également un fort nationalisme.

La concentration du pouvoir

Le président Erdogan fait l’objet d’une opposition croissante dans les années 2010, certains dénonçant la corruption mais aussi l’islamisation du pays (ex : Sainte-Sophie d’Istanbul redevenait formellement une mosquée en 2020), qui remet en question l’héritage kémaliste fondé sur un Etat laïc reposant sur le contrôle étroit du sunnisme, la religion majoritaire. Il remettra ainsi en cause le caractère multiculturel de la société turque et la liberté religieuse. Le caractère autoritaire du système politique va surtout se faire jour après la tentative de putsch de 2016, qui conduit à un durcissement du pouvoir en place : d’importantes purges sont alors menées et l’année suivante, une réforme constitutionnelle vient accroître le pouvoir présidentiel (ex : transfert de l’essentiel du pouvoir exécutif au président qui nommerait lui-même les ministres ou encore possibilité d’intervenir directement dans le domaine judiciaire). A cela se sont ajoutées diverses mesures répressives (ex: contrôle des réseaux sociaux). Cela n’empêchait pas, en 2023, la réélection du président Erdogan. En 2024, l’AKP a vu la montée du principal parti d’opposition, le parti kémaliste CHP, que d’aucuns expliquaient par l’état de l’économie turque.

La question kurde

Durant les années 2000, les relations entre la Turquie et les Kurdes s’étaient assouplies, conformément aux volontés de l’Union européennes, à une époque où le pays cherchait à s’en rapprocher. Cependant, cette main tendue était rapidement remise en cause car les Kurdes, qui composent 10-15% de la population turque, demeurent un danger pour l’unité territoriale turque.

La pression exercée sur les Kurdes a généralement été accentuée à mesure que des échéances politiques approchaient, révélant l’instrumentalisation de la question kurde.

La menace était ravivée en 2015 par l’entrée au Parlement du Parti démocratique des peuples (HDP). Pro-kurde, ce parti était en effet soupçonné d’entretenir des liens avec les militants du Parti des travailleurs au Kurdistan (PKK).

Considéré comme une organisation terroriste par la Turquie et ses alliés occidentaux, le PKK, allié régional de l’Iran, est la cible d’attaques turques. Les Kurdes de Syrie et d’Irak sont en effet continuellement visés par des bombardements turcs; le PKK a en effet de nombreuses bases dans les montagnes du nord irakien. Ankara a ainsi accru la pression sur le gouvernement autonome du Kurdistan irakien pour en chasser le PKK, mais aussi sur Bagdad. La Turquie dispose dans son entreprise du soutien de l’Irak, qui a autorisé l’installation de 39 bases militaires turques sur son territoire pour lutter contre le PKK. Ce dernier est en effet considéré par les deux pays comme une menace pour leur sécurité.

En 2024, la Turquie intensifiait ses bombardements sur les positions du PKK au Kurdistan irakien, avec pour ambition de mener une vaste opération miltiaire terrestre afin de créer une « zone tampon antiterroriste » le long de sa frontière.

Aussi, comme la Syrie, la Turquie considérait les élections locales au Kurdistan syrien comme une menace pour l’intégrité territoriale de la région, l’objectif étant selon Ankara de créer une entité kurde indépendante près des frontières turques. En effet, il s’agissait d’une avancée vers une forte décentralisation de la Syrie et donc d’une avancée pour les Kurdes, qui souhaitent l’instauration d’un Etat fédéral. Déjà les Kurdes bénéficient d’une administration autonome et contrôlent près du quart du territoire syrien.

L’intensification des bombardements sur les positions du PKK au Kurdistan irakien ont conduit à l’exil d’un quart des habitants. Et pour cause, si l’armée turque dit frapper les positions du PKK, il n’en demeure pas moins que les civils sont touchés par ces bombardements.

Mais les kurdes irakiens affirment que leur départ, bien que souhaité par la Turquie, serait dangereux pour l’Irak dans son ensemble car cela laissera la place à des groupes terroristes.

Economie

Depuis les années 2000, la Turquie bénéficie d’une croissance de son PIB d’environ 5% par an. Durant cette période, le président Erdogan a fortement libéralisé et privatisé l’économie, ce qui a favorisé l’afflux d’investissements dans le pays.

Parallèlement, le niveau de vie des Turcs s’est amélioré, le PNB par habitant ayant triplé sous l’AKP. De plus, le pays a multiplié les infrastructures, menant une politique de grands travaux critiquée pour sa démesure autant que pour ses conséquences environnementales et économiques (ex: «Canal Istanbul»).

Cependant, ces dernières années, la Turquie a fait face à une conjoncture économique plus difficile conjuguée aux effets néfastes de la politique de libéralisation économique (ex: liés au maintien artificiellement bas des taux d’intérêt pour encourager l’activité économique). Dans les années 2020, le pays a ainsi subi une forte inflation, la dépréciation de la valeur de la livre turque, l’arrivée massive de migrants syriens, irakiens et afghans ou encore le net accroissement de l’endettement privé.

Aussi, les investissements étrangers ont fui le pays, rendant d’autant plus difficile le redressement économique du pays. Ainsi, malgré des taux de croissance d’environ 4-5% en 2023-2024, l’hyperinflation induisait une paupérisation des classes moyennes et populaires et un accroissement des inégalités.

Relations extérieures

L’affirmation d’une véritable politique extérieure turque n’est apparue qu’au 21e siècle. A la recherche d’une autonomie stratégique, la Turquie s’est alors peu à peu démarquée par un particulier activisme visant à redonner au pays la place et l’influence qu’elle avait du temps de l’Empire ottoman. Développant un soft power mêlant modernité et diffusion de l’islam politique, sa politique se veut à la fois ambitieuse et sans compromission, alternant action offensive et souplesse, dans une vision de long terme.

Une politique étrangère multidirectionnelle

La Turquie a développé des relations diplomatiques hétérogènes, décidant à la fin des années 2000 de faire de sa situation géographique une force : la Turquie regardera désormais à la fois vers l’Europe et vers ses voisins, dans l’optique d’éviter avec eux tout conflit. Le pays occupe en effet une position géostratégique cruciale : pont entre l’Europe et l’Asie, c’est aussi un carrefour entre des régions instables (Proche-Orient, Caucase, Balkans).

Aussi la Turquie entend-elle garder un pied dans chaque camp, se voulant à la fois être une puissance de l’est et de l’ouest, guidée par ses intérêts, et notamment par des impératifs sécuritaires. En cherchant toutefois à gagner en autonomie, ses relations ont été marquées par des positions ambivalentes, le pays n’hésitant pas à entrer directement ou indirectement en conflit avec ses propres alliés autant qu’à en changer. Devenue un acteur stratégique dans de nombreuses régions, la Turquie peut en effet agir comme elle l’entend et nouer des alliances au gré des circonstances. La politique diplomatique s’avère ainsi parfois changeante.

Cette politique ambivalente et opportuniste lui permet de demeurer dans l’OTAN tout en nouant des relations avec des partenaires très opposés comme la Chine, l’Union européenne ou la Russie. La Turquie a ainsi pu exprimer son souhait de rejoindre les BRICS, mais aussi son intention de rejoindre l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai, dominée par la Chine). En sus de sa position géographique, cette politique dite « d’équilibre » menée par Ankara lui a permis de devenir un acteur diplomatique et stratégique important, le pays se disant capable de dialoguer avec des interlocuteurs variés, et notamment d’effectuer un lien entre les Occidentaux et leurs rivaux (ex: avec les Talibans). Cette posture lui a également permis de conserver des liens étroits avec la Russie après l’invasion de l’Ukraine, malgré son statut de membre de l’OTAN; la Turquie fait en effet justement valoir ses capacités de médiation entre Moscou et l’Occident.

Par sa position stratégique et sa puissance diplomatique (le pays bénéficie du 6e réseau diplomatique du monde), la Turquie constitue un interlocuteur crucial pour nombre de grandes puissances, car lieu de surveillance du Moyen-Orient et des détroits entre la mer Noire et la Méditerranée. Le pays est aussi un interlocuteur important dans un nombre croissant de crises régionales.

Diversification des outils de puissance

La Turquie est devenue un véritable acteur du marché de l’armement, étoffant son industrie, notamment dans le secteur des drones armés.

De plus, le pays a ouvert des bases militaires à l’étranger, et notamment en Libye et en Syrie, mais aussi au Qatar, en Somalie et au Soudan. Par ailleurs, il entend faire partie des grandes nations spatiales, l’espace étant perçu comme un marché autant qu’un terrain de compétition entre puissances. Ainsi, l’Agence spatiale turque (TUA) était créée en 2018. Enfin, la Turquie a des ambitions navales et porte des revendications sur des ZEE en Méditerranée (ex: forage dans les eaux chypriotes) L’ensemble de ces facteurs font de la Turquie un acteur régional incontournable, qui durant de nombreuses années, s’est attaché à se remodeler à l’image de son passé impérial en concurrençant ses voisins. Ankara a ainsi multiplié les incursions armées, directes ou indirectes, dans son proche voisinage. Le pays est intervenu en Syrie (où le pays était durablement installé), en Libye et a apporté un soutien actif à l’Azerbaïdjan dans sa guerre contre l’Arménie au Haut Karabagh (en 2020 et 2022).

Relations avec les pays étrangers

La Turquie a longtemps entretenu des relations apaisées avec ses voisins occidentaux (elle avait rejoint l’OTAN en 1952 et l’OCDE quelques années plus tard, puis déposé sa demande d’adhésion à la CEE en 1987), mais son soft power se fonde aujourd’hui notamment sur le rejet du modèle occidental. Allié traditionnel des États-Unis malgré certains désaccords (ex: Chypre, refus turc de l’invasion en Irak à partir de son territoire) les relations se sont tendues entre les deux pays après l’arrivée de l’AKP au pouvoir. Cependant, la Turquie continue à entretenir des relations diplomatiques avec Washington, désormais toutefois moins tourné vers le Moyen-Orient et donc vers le traditionnel allié turc, qui de surcroît mène une politique jugée trop imprévisible.

Aussi, la Turquie tient à conserver son rôle dans l’OTAN, et mettait, en 2023, son veto à l’entrée de la Suède dans l’organisation (en raison de l’indulgence de Stockholm envers le PKK) avant de le retirer. L’Alliance Atlantique constitue en effet une véritable assurance sécurité pour la Turquie, qui constitue pour l’OTAN une base d’action utile pour agir dans la région. De même, le pays continue à entretenir des relations importantes avec l’Union européenne, leurs échanges économiques demeurant conséquents en raison d’une économie turque très intégrée à l’économie européenne. Cependant, les relations Turquie-UE sont également marquées par une adhésion de la Turquie à l’UE sans cesse repoussée, notamment liée à l’absence de règlement de la question chypriote ains qu’au recul démocratique turc. Cependant, la Turquie demeure candidate à l’adhésion à l’UE et son partenaire stratégique depuis des décennies (ex: coopération en matière de recherche et d’innovation, coopération culturelle, etc.). Malgré des critiques occidentales émises à l’encontre de la politique intérieure turque (ex: répression en 2016 suite à la tentative de coup d’Etat, autoritarisme), les liens avec l’Occident demeurent favorables.

Entre la Russie et la Turquie, alors que les deux pays se sont écharpés en Syrie et que la Turquie n’a jamais approuvé l’annexion de la Crimée et condamné l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, ils se sont toutefois régulièrement entendus sur plusieurs sujets cruciaux.

Les deux pays partagent le ressentiment antioccidental (concept d’eurasisme) ou encore par leur commune lutte contre les terrorismes caucasiens. Mais ils divergent parallèlement sur les relations qu’ils entretiennent avec certains pays (l’Arménie, la Libye, la Syrie de Bachar el-Assad, l’Egypte d’Abdel Fattah al-Sissi ou encore l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane) et se concurrencent en Libye, au Soudan ou encore en Afrique sub-saharienne.

Cependant, si les relations politiques apparaissent ambivalentes entre les deux pays, leurs relations commerciales sont faciles: outre un important volume d’échange, Moscou a construit la première centrale nucléaire de la Turquie, à laquelle elle fournit également des produits agricoles. De plus, les relations énergétiques et financières se sont considérablement développées ces dernières années, notamment avec la mise en place du Turkish stream (passant sous la mer Noire pour éviter l’Ukraine) qui devait sécuriser l’approvisionnement turc en gaz. Aussi, les transactions pétrolières ont permis à la Russie de contourner certaines sanctions occidentales.

La Turquie a des relations très anciennes avec l’Afrique subsaharienne. Mais avec l’avènement de la République turque en 1923, Ankara s’est éloignée de l’Afrique pour regarder vers l’Occident. A la fin du 20e siècle cependant, le pays renoue avec sa propre diplomatie et dès 1998, les autorités turques mettent en place un «Plan d’action pour une ouverture à l’Afrique».

Dans ce droit fil, le président Erdogan a particulièrement renforcé les relations entre l’Afrique et la Turquie. Ainsi, Ankara dispose désormais de près de 40 ambassades africaines. Ces relations ont d’abord débuté par des actions caritatives et sociales (distributions alimentaires), religieuses (rénovation et construction de mosquées dans des pays à majorité non musulmane ou non) et culturelles (feuilletons turcs à la télévision, implantation d’écoles confessionnelles islamiques). Puis, à partir des années 2010, les entreprises turques de BTP érigent des infrastructures au sud du Sahara (aéroports, chemins de fer, hôpitaux, etc.). Après 2016, c’est la coopération militaire qui s’intensifie avec des pays ayant besoin d’armes peu chères adaptées aux conflits avec les groupes armés terroristes ou djihadistes qu’ils affrontent (ex: vente de drones armés Bayraktar TB2).

Ainsi, d’une diplomatie caritative, puis économique, la Turquie est passée à des coopérations sécuritaires. C’est la tournure qu’ont prises relations entre le pays et la Somalie. Après lui avoir apporté un soutien humanitaire, Ankara a instauré un partenariat étroit en matières économique et sécuritaire lui permettant d’étendre son influence dans la région. La Somalie abrite ainsi la plus grande base militaire turque à l’étranger depuis 2017 (à Mogadiscio, afin de former les soldats somaliens).

Aussi, le pays a développé des relations avec nombre d’Etats africains: l’Angola pour ses ressources naturelles (ex: phosphate), le Togo et le Nigeria, avec lequel il s’agissait de créer des alliances militaires (ex: vente de drones) dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, le Nigeria (accords sur l’énergie, l’agriculture, la défense) ou encore la RDC (coopération économique et sécuritaire). Ces partenariats montrent que le secteur de la défense est devenu le moteur de la politique étrangère turque dans les pays africains. Outre l’Algérie, l’un des bastions nord-africain des investissements turcs, la Turquie a déployé plusieurs attachés militaires en Afrique et y agit par l’intermédiaire la société turque de défense paramilitaire Sadat, notamment présente au Niger, où plusieurs centaines de mercenaires ont été déployés pour défendre et protéger les intérêts turcs dans ce pays (ex: protection de mines exploitées par des entreprises turques).