Brève histoire des luttes écologistes

Loin d'être neuve, la contestation des atteintes portées à l'environnement est ancienne. Et pour cause, les concepts écologiques ont été forgés en Europe dès le 19e siècle: écologie, biosphère, biocénose, etc.

Auparavant en effet, la nature constituait un lieu plutôt hostile pour les Français, peu amoureux des forêts, de la montagne ou de la mer.

Ainsi, à l'époque des grandes découvertes, alors que les voyages organisés à partir du 16e siècle par les Européens ont d'importantes conséquences sur l'environnement, beaucoup font faire peu de cas de ces destructions. Pourtant, ces expéditions conduisent en effet au pillage de la nature tropicale et à une surexploitation des ressources naturelles que l'on pensait inépuisables. Des animaux sont exterminés pour en utiliser la peau ou les plumes. Certains vont alors déplorer le déclin d'un paradis perdu, à commencer par les populations locales. Bernardin de St-Pierre (1737-1814) regrettera n'avoir pu trouver sur l'île Maurice un modèle d'union entre l'homme et la nature, l'île ayant alors déjà perdu une grande partie de ses forêts en raison de la colonisation.

Avant l'arrivée des colons, certaines espèces avaient déjà disparu, à l'instar d'un oiseau de 3 mètres de haut, décimé avant 1700 par les Maoris.

Ainsi va naître une conscience écologiste chez les nations colonisatrices, les scientifiques de l'époque avançant que la déforestation provoque des changements climatiques. L'Isle de France va alors faire l'objet de nouvelles législations. En 1769, un décret impose aux propriétaires de conserver 25% de leurs terres boisées pour limiter l'érosion. En 1791, une loi réglementera les rejets de polluants dans l'eau par les entreprises d'indigo et de canne à sucre quand en 1798 une autre loi limitera la pêche et qu'un service forestier sera créé en 1803 pour réglementer les coupes.

Dans ce droit fil, une véritable écologie coloniale se développe ("King's Hill Forest Act" voté en 1791 pour le reboisement). Et si aucun mouvement écologique ne s'organise encore au 18e siècle, les milieux savants, philosophiques, littéraires et économiques occidentaux prennent conscience de la question. Mais les Français dans leur ensemble apprécient toujours aussi peu la nature jusqu'au 19e siècle. L'intérêt pour la montagne ou pour la mer n'est apparu que progressivement.

Au début du 20e siècle, cet intérêt se développe tandis que les nouvelles industries prennent de l'ampleur. Face à ce rapide progrès de la technique, Bernard Charbonneau et Jacques Ellul vont mettre en garde contre ce qu'ils considéraient comme une menace. Ainsi, dès les années 1930, ils réfléchissent à la nature et l'écologie : alors que Charbonneau prône un retour à la campagne, Ellul avertit les hommes qu'ils ne seront jamais maître du progrès technique. En effet, bien que devenus maîtres de la nature, ils risquent de se faire broyer par le progrès s'ils ne conservent pas une morale personnelle très forte.

A la suite de ces auteurs, des contestations ont émergé lorsque dans l’immédiat après-guerre, les dégâts environnementaux se sont multipliés dans les colonies françaises en raison de leur modernisation effrénée (alertes de scientifiques comme Théodore Monod). De même, l'arrivée de l'arme nucléaire et la constatation des dégâts causés par cette nouvelle puissance suscitent des luttes antinucléaires qui accompagneront le développement de l’industrie atomique ; des riverains s'en plaignent et certains intellectuels s'en inquiètent. Puis, ce sera l'utilisation de l’agent orange (création de la multinationale Monsanto) durant la guerre du Vietnam qui en déversant des dizaines de milliers de mètres cubes d’herbicides de synthèse sur le pays (opération Ranch Hand) va provoquer de vives contestations.

Selon certains, plutôt que de parler des mythiques « Trente Glorieuses » en raison de la croissance et de la modernisation, il conviendrait d'utiliser les termes de « Trente Dangereuses » ou de « Trente Pollueuses ».

Plusieurs mouvements d’opinions critiques de la modernité vont ainsi émerger, allant des pêcheurs dénonçant la pollution des cours d’eau à la critique du consumérisme. Dans son ouvrage majeur de 1962, Printemps silencieux, Rachel Carson dénonçait les effets néfastes de l'utilisation sans frein des pesticides et autres produits chimiques. Mais tout comme les opposants à la modernisation étaient qualifiés de "technophobes" ou de "conservateurs" par les pouvoirs économique et politique en place — ce qui éteignait et occultait toute contestation, Rachel Carson a été attaquée par les lobbies de l'agro-industrie et certains scientifiques ; elle finira toutefois par obtenir l’interdiction du DDT en Amérique.

Mais jusque dans les années 1960, la cause écologiste reste cantonnée à des milieux savants. Mais avec mai 68 et le mouvement de retour à la nature, marqué par le départ de citadins vers les campagnes, un véritable mouvement écologiste politique alternatif va émerger. D'abord focalisé sur le nucléaire, le mouvement va se développer pour dénoncer la pollution de l'air, puis des sols.

Pour répondre à cette nouvelle demande sociale en matière d'écologie, le premier Ministère de l'environnement va être créé par le gouvernement de Georges Pompidou en 1971. En outre, "des textes officiels destinés aux enseignants les engagent à développer chez leurs élèves des attitudes d'observation, de compréhension et de responsabilité vis-à-vis de l'environnement proche et lointain". Aussi, des lois vont être vôtés, à l'instar de la loi sur le protection de la nature de 1976. Dans le même temps, la France assiste à la première candidature écologiste à une élection présidentielle (René Dumont en 1974) tandis que vont s'organiser des partis écologistes qui gagneront progressivement en importance (Brice Lalonde devient ministre de l'Environnement en 1988), tout comme de nombreuses associations.

Dans les années 1960 et 1970, des associations de protection de la nature et de l’environnement vont apparaître en France et dans le monde (Fédération française des sociétés de protection de la nature, Greenpeace, Friends of the Earth, etc.). Si certaines résistances seront ponctuelles (ex: résistance de Plogoff en 1980 ; Larzac de 1971 à 1981), beaucoup de militants écologistes vont considérer que l’action ponctuelle ne suffit pas : il faut intervenir sur les logiques mêmes de fonctionnement de la société. Certaines organisations écologistes (ex: Les Amis de la Terre) entendent en effet sortir le citoyen de la passivité en le faisant devenir "un véritable militant politique décidé à transformer le système" et réfléchissent à d'autres systèmes de société (autogestion).

Et dans les années 1990, un nouveau mouvement émerge encore. L'un des symboles en est le discours d'une jeune fille de 12 ans (Severn Suzuki) lors du sommet de Rio en 1992. Devant une centaine de chefs d’état et autres politiques réunis à la Conférence des Nations Unies consacrée au développement et à l’environnement, elle va tenir des propos provocants : « Vous les adultes, vous devez changer votre mode de vie. [...] vous les adultes, vous vous comportez comme si le temps disponible était infini. C’est à vous de décider dans quel monde les enfants de demain devront grandir. Je vous en prie passez des paroles aux actes. » C'est aussi à cette période que la responsabilité des agriculteurs dans la pollution va être pointée du doigt en raison des produits chimiques utilisés depuis des décennies. Parallèlement, les Français vont acquérir une conscience planétaire de l'environnement. Les luttes peuvent être locales, mais les problèmes sont considérés de manière plus globale.

Pourtant, les années 2000 vont être celles des luttes concrètes et locales contre les atteintes portées à certains espaces naturels. La forêt va alors devenir un lieu d'expérimentation de nouveaux modes de vie, de construction d'un nouveau rapport au monde. Dans les bois de Sivens, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure ou dans les Cévennes, on lutte pour préserver la forêt des velléités marchandes (contre la construction d'un barrage, d'un aéroport).

Ailleurs dans le monde aussi, on se bat : au Mexique, des paysans luttent pour libérer leurs forêts des exploitants et les Penan de Bornéo s’arment de sarbacanes contre les compagnies de plantation de palmiers à huile.

Ces îlots de contestation vont voir leurs revendications entendues plus largement avec l'émergence de nouvelles générations d'écologistes. La population dans son ensemble, et notamment les enfants à travers l'école, est en effet désormais "sensibilisée" à la cause. C'est dans ce contexte que Greta Thunberg, en 2019, fera un discours à l’ONU, dénonçant « l’inaction des politiques » contre le changement climatique.

Bibliographie

Jean-Baptiste Vidalou, Être forêts, Habiter des territoires en lutte, Zones, 2017.

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https://www.lesinrocks.com/actu/severn-cullis-suzuki-ladolescente-qui-alertait-sur-le-dereglement-climatique-des-1992-182005-24-09-2019/

Vrignon, Alexis. « Écologie et politique dans les années 1970. Les Amis de la Terre en France », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 113, no. 1, 2012, pp. 179-190.

Pinaud, Samuel. « Pessis C., Topçu S., Bonneuil C. Une autre histoire des « Trente Glorieuses ».

Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre Paris, La Découverte, 2013, 309 p. », Revue Française de Socio-Économie, vol. 13, no. 1, 2014, pp. 297-302.

Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille, Essai d'écologie politique, La Découverte, 2018.

Jean-Baptiste Vidalou, Être forêts, Habiter des territoires en lutte, Zones, 2017.

https://www.canalacademies.com/emissions/au-fil-des-pages/petite-histoire-du-mouvement-ecolo-en-france

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