Stéréotypes

Les stéréotypes sont "des ensembles de croyances à propos d'un groupe social" (Ashmore et Del Boca, 1981) ; ils renvoient aux caractéristiques des membres d'un groupe qui sont ensuite généralisées à l'ensemble du groupe. Cela peut conduire à des jugements négatifs, des préjugés, envers un groupe.

Naissance des stéréotypes

La tendance naturelle à la catégorisation sociale (intégration des personnes dans des catégories, par exemple celle des jeunes) peut créer certains préjugés. En effet, ainsi peuvent naître des jugements stéréotypés à l'origine de discriminations (ex: en plaçant une personne dans la catégorie "jeune", on pourrait déduire qu'elle conduit trop vite sur la route). Et pour cause, la catégorisation renforce les similitudes au sein du groupe (effet d'homogénéisation) tout en exacerbant les différences avec les autres groupes (effet de contraste et d'assimilation); cela génère un sentiment d'appartenance ("nous" et "les autres") et du favoritisme (privilégier les membres de son groupe).

La catégorisation relève du fonctionnement normal du système cognitif, qui évite de le surcharger et qui ne peut traiter toutes les informations disponibles. C'est en effet un processus automatique, un raccourci mental visant à faciliter le traitement des informations extérieures afin de mieux appréhender (en le simplifiant) l'environnement social. En créant ainsi des stéréotypes, l'individu comprend en effet mieux la réalité sociale et peut ainsi mieux l'expliquer ("il est jeune donc il conduit vite"), se justifier ("j'ai réagi ainsi car..."). Cela peut toutefois conduire à des erreurs de jugement et à des discriminations.

Les préjugés et stéréotypes relèvent pour une large part de facteurs socio-culturels : contexte et histoire familiale, socialisation, histoire nationale (esclavage, colonialisme, guerre d'Algérie, etc.), normes sociales, appartenance à un groupe (qui peut renforcer les idées sur les groupes extérieurs), etc. Ces facteurs façonnent les façons de percevoir les autres et le monde.

Les jeunes enfants n'ont pas d'a priori sur les couleurs de peau, les religions et les origines sociales des individus. Puis, vers 3-4 ans, ils ont conscience des différences ethniques et vers 5-6 ans, ils connaissent les stéréotypes raciaux. Ces connaissances sont plus précocement acquises que l'enfant fait partie du groupe majoritaire.

Les individus ont tendance à adopter les croyances de leur entourage, initialement familial, puis de groupes plus larges. Avec l'école, les interactions avec d'autres personnes vont favoriser la construction de nouvelles croyances, tout comme les liens croissants avec les médias, qui diffusent des nomes et des stéréotypes (publicités, dessins animés, etc.). En épousant les mêmes idées que ceux dont ils se sentent les plus proches, ou dont ils veulent se rapprocher, les individus se sentent davantage liés à eux, en cohésion avec eux.

Au-delà des explications externes au sujet, certains chercheurs ont tenté de savoir s'il existait des personnalités ayant des tendances à adhérer à certains préjugés ou idéologies. Après la Seconde guerre mondiale, Theodor Adorno, auteur de La Personnalité autoritaire, a dans cette optique mis en place des échelles de mesure de la personnalité permettant de calculer un score d'autoritarisme chez tout individu. L'objectif est de cerner la personnalité autoritaire, qui résulterait d'une éducation rigide, stricte et peu affective. Cela conduirait à idéaliser l'autorité (ex: volonté d'ordre à travers l'Etat) mais aussi à retourner inconsciemment cette autorité contre les plus faibles.

Dans les années 1960, Rokeach reprendra l'idée de l'existence d'une structure mentale stable qui prédisposerait à adhérer à certaines idéologies ou croyances. Il la raccroche à l'existence, chez ces personnes, d'une rigidité cognitive : les personnes auraient des difficultés à répondre par des idées nouvelles et créatives à des problèmes de logique. Ainsi, le préjugé entrainerait une fermeture d'esprit et donc une rigidité mentale. C'est ce qu'il appelle le dogmatisme, qui relève aussi bien d'extrémisme de droit que d'extrémisme de gauche.

Plus généralement, certains chercheurs ont considéré que les stéréotypes naissent de frustrations, qui lorsqu'elles ne peuvent être exprimées par des réactions agressives directes contre ceux qui en sont jugés responsables, elles s'accumulent. Dans ce contexte, l'agressivité s'exprimera à travers la construction de bouc émissaires, cibles de préjugés et de l'agression (ex: quand la pauvreté gagne les classes moyennes, celles-ci s'en prennent aux plus pauvres, qui profiteraient du système d'allocations) ; c'est la théorie du bouc émissaire (Miller et Dollard).

D'autres facteurs peuvent expliquer la naissance de stéréotypes susceptibles de conduire à la violence. Par exemple, en se comparant socialement avec ceux qui possèdent ce qu'eux-mêmes s'estiment être aussi légitimes à avoir, les individus nourrissent un sentiment d'injustice et de frustration qui peut conduire à des actes de révolte (théorie de la privation relative).

La privation relative peut être intrapersonnelle: l'individu compare sa situation actuelle avec sa situation antérieure, plus favorable. Elle peut également être interpersonnelle : l'individu compare sa situation avec celle d'un membre du groupe auquel il se réfère. Elle peut enfin être intragroupe : c'est la situation du groupe qui est alors comparée à celle d'un autre.

Explications de l'existence des stéréotypes

Les stéréotypes sociaux seraient entretenus par différents phénomènes. En premier lieu, les dominants développeraient des idéologies pour légitimer leur statut social supérieur. Ces "mythes légitimisateurs" reposent sur des valeurs, des capacités auto-attribuées et justifient les pratiques sociales. Certains individus ont une propension plus importante à adhérer à ces mythes (forte orientation à la dominance sociale) ; ce sont ceux qui, par acquisition sociale, sont les plus favorables aux mythes renforçant la hiérarchie sociale (ex: supériorité de l'homme, naturalité des inégalités). Or la hiérarchie entre groupes sociaux différents conduirait à des conflits et des oppressions sociales (Sidanius et Pratto, 1999).

Selon la théorie des conflits réels (Sherif, 1966), les conflits au sein de groupes naitraient de la compétition pour le contrôle de ressources rares ; cette concurrence serait au fondement des préjugés et discriminations.

Mais les stéréotypes sociaux érigés par les groupes dominants permettraient de maintenir le système social, de le justifier (Joest et Berguess, 2000) et de conserver ainsi un statu quo permettant le maintien de l'emprise des dominants sur les dominés. Ces stéréotypes seraient également adoptés par les couches inférieures de la population (ex: image favorable du médecin, perçu comme intelligent par un patient issu d'un milieu pauvre).

Par ailleurs, un individu peut craindre que le stéréotype d'un groupe soit confirmé et ainsi renforcé par son comportement. Par exemple, une femme peut craindre de renforcer le stéréotype des femmes fragiles si elle se montre faible dans une situation donnée. Cette menace de stéréotype peut peser sur son comportement et détériorer ses performances (ex: elle va se sentir fatiguée), confirmant finalement ainsi le stéréotype (Steele, 1997).

Dans d'autres cas, ce sont ceux qui observent les comportements qui les induisent (attentes de comportements): en s'attendant à un comportement particulier de la part d'un individu ou un groupe, l'on va plus facilement déceler des éléments confirmant cette tendance, et ainsi favoriser l'apparition du comportement conforme aux prédictions (Merton, 1948 ; Snyder, 1984).

L'atténuation des préjugés

D'aucuns considèrent qu'en augmentant les contacts avec les autres, cela peut réduire les préjugés. Il faut cependant que le contact ait lieu entre deux personnes de statut égal, ayant un but commun, se considérant non comme des représentants de leur groupe mais comme des individus ; il faut en outre que les stéréotypes soient invalidés et que le contact soit fondé sur une association égalitaire (Cook, 1978).

La coopération entre les groupes a été étudiée dans les années 1950 (Sherif et coll.) : des groupes de garçons de 11-12 ans étaient rendus hostiles les uns aux autres, puis invités à effectuer des activités communes exigeant la collaboration des membres pour réduire les tensions, ce qui a été constaté (voir chapitre Groupes).

Mais la mise en contact des groupes pourrait aussi permettre de constater les différences réelles, ce qui pourrait creuser l'écart entre les deux. Aussi, si les groupes ne parviennent pas à s'entendre sur un but commun, les liens ont tendance à se détériorer. C'est donc plutôt le fait de parvenir à une réussite qui soude les groupes (Worchel, Andreoli et Folger, 1977).

Mais d'autres techniques peuvent réduire les préjugés, notamment en évitant de catégoriser les groupes, ce qui est toutefois difficile en réalité (la distinction est commune, par exemple entre hommes et femmes). Ainsi, d'autres chercheurs ont proposé de rendre les groupes interdépendants (modèle de différencialisation), chaque groupe ayant un rôle qui lui est propre et complémentaire à un autre. De cette façon, les deux groupes ne vont plus faire qu'un (recatégorisation). Enfin, se mettre à la place de quelqu'un d'autre afin de comprendre ce qu'il peut ressentir dans une situation donnée peut permettre d'atténuer les préjugés entre les groupes ("nous partageons la même humanité").

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