Principales évolutions

Longtemps soupçonnée d’affaiblir l’éducation morale et culturelle populaire, la télévision n’a eu de cesse de tenter de se racheter. Dans les années 1960, l’ORTF s’est donc évertuée à démontrer qu’elle jouait un rôle culturel.

Mais au fil des décennies, des études vont démontrer que les émissions culturelles n’ont pas le succès escompté: au «meilleur de l’héritage culturel traditionnel», les téléspectateurs préfèrent les feuilletons et émissions de variété. Aussi les émissions de littérature ou le théâtre ne seront-elles appréciées que dans leur forme démocratisée: le caractère divertissant des vaudevilles (dans Au Théâtre ce soir) séduira donc un large public, aussi bien que des émissions comme Apostrophes qui conduisent des débats de société à la télévision. De la même façon, le goût pour l’histoire ne s’exprime qu’à travers le visionnage de films historiques; ceux-ci dépaysent et distraient en recourant non seulement au drame et à l’anecdote, mais encore à la mémoire collective. Pour beaucoup de téléspectateurs donc, la télévision constitue un moyen de se divertir après une journée de travail, à une époque où le loisir s’apparente à un moyen d’accomplissement personnel.

«Trop de leçons, trop de leçons, nous ne sommes plus à l’école!» (paroles d’un téléspectateur, octobre 1953)

Les années 1960-1970 seront donc celles de l’ascension du petit écran: alors qu’en 1949, plus de neuf Français sur dix n’avaient jamais regardé la télévision, ce chiffre va irrémédiablement s’amenuiser en quelques années — surtout dans les milieux les moins favorisés sur le plan culturel. En 1964, 39,3% des ménages possédaient ainsi un récepteur de télévision, contre 89,3% en 1979 et environ 92% en 2020.

Objet de consommation parmi d’autres, la télévision s’impose alors et se banalise dans les intérieurs français. Elle n’est plus l’apanage des classes supérieures et le soin que les journalistes et présentateurs portent à leur langage, dans un souci de démocratisation de la culture élitiste, met de plus en plus mal à l’aise. Si certains téléspectateurs considèrent que cela permet de corriger leur langage, les bonnes manières et l’érudition des présentateurs impressionnent surtout; de la même manière, les jeux télévisés font appel à une culture légitime hors de portée pour beaucoup de téléspectateurs.

Dans les années 1970, on s’interroge donc sur le bien-fondé de cette démocratisation culturelle que d’aucuns raillent pour la diffusion d’une culture de classe qu’elle normalise. La mise en concurrence des chaines ou encore le rejet de la culture «bourgeoise» par les manifestants de mai 1968 vont alors contribuer à entériner la relégation des émissions culturelles à des heures tardives avant de les déprogrammer. L’heure est désormais à la «sensibilisation» aux problèmes sociaux et à la promotion de cultures modernes. La télévision ne sera plus un prolongement de l’école, mais un lieu de culture populaire. Cependant, quelques émissions plus scolaires demeureront ("Des Chiffres et des lettres"). Parallèlement à cette évolution du contenu télévisuel, l’attitude de ceux qui passent à la télévision va aussi changer.

Qu’il s’agisse de politiciens, de journalistes ou de passants, leurs attitudes, comme leurs manières de s’exprimer, sont révélatrices d’une époque.

C’est ainsi qu’avant les années 2000, on remarquait généralement une certaine gêne chez les candidats anonymes des jeux télévisés. Cette attitude timide affectait la plupart d’entre eux, révélant ainsi la traditionnelle réserve française à parler en public. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde: certains candidats n’ont pas peur de se montrer tels qu’ils sont et font preuve de naturel et de spontanéité. Ils semblent banalement eux-mêmes, en dépit de quelques excentriques exceptions.

Après cette date, et à l’époque du développement fulgurant de la promotion de soi, l’aisance face à un public devient progressivement la norme. Les candidats de jeux télévisés vont alors se montrer bien plus à l’aise que leurs prédecesseurs, tout comme les participants aux diverses téléréalités. Ainsi va se banaliser la participation d’anonymes exaltés dans moult produits télévisuels.

Certains se mettent en scène à travers une personnalité exubérante, estimant qu’en se singularisant, ils renvoient l’image qu’on attend d’eux. Aussi beaucoup d’anonymes vont-ils tenter d’assurer le show à la télévision, évacuant par là-même la spontanéité et le naturel au profit d’un narcissisme de masse, finalement aseptisé et consensuel malgré une volonté d’anticonformisme.

L’accroissement de la proportion de candidats loufoques, trépignants ou hystériques a alors produit une surenchère de surexcitation permanente qui a affecté les présentateurs télévisés, tout comme les célébrités et politiciens invités sur les plateaux. Tous ont intégré cette forme d’euphorie alimentée par des plans séquences raccourcis et de multiples stimulations visuelles ou sonores qui maintiennent en haleine le téléspectateur.

La caméra ne reste plus figée sur celui qui parle, mais filme aussi ses mains, la réaction de celui qui l’écoute, celle du public, etc.

Ce mouvement constant, qui répond au besoin humain de stimulation, rend l’attention volatile et l’élocution plus rapide. Tout est en effet bref, saccadé ou raccourci, à l’image des séries télévisées, qui finiront par proposer moins d’épisodes — bien loin des 52 épisodes de Thierry la Fronde dans les années 1960.

En évoluant ainsi, la télévision semble répondre à l’accélération du monde autant qu’à l’usage croissant des écrans alternatifs (ordinateurs, tablettes) et des réseaux sociaux. Ses manières de proposer toujours davantage de divertissement procèdent de cette marche en avant.

Puisque la plupart des téléspectateurs préfèrent se divertir, se tournant plutôt vers des programmes «grands publics» que vers des contenus dits «exigeants» (films classiques, documentaires pointus...), il s’agira en effet de leur offrir un plaisir immédiat. La télévision proposera ainsi de plus en plus de contenus qui titillent très directement les instincts du téléspectateur. Le règne de l’émotionnel et de l’identification, largement employé par la téléréalité, s’est alors naturellement diffusé à la grande majorité des programmes télévisés. Beaucoup d’entre eux appliquent en effet désormais ses codes (ex: retour face caméra ou «interviews narratives» destinées à recueillir les émotions des individus), du magazine au documentaire en passant par la fiction, voire au journal télévisé.

Tous ces éléments ont concouru à la perte d’objectivité et de rationalité de l’information. L’usage de la pensée analytique, de l’esprit critique nécessite en effet «une voie mentale plus lente», qui concurrence difficilement les contenus extrêmement divertissants.

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