Journaux télévisés
Journaux télévisés (deuxième chaîne)
Le premier journal télévisé date de 1949, mais ce n’est que cinq ans plus tard qu’un présentateur apparaîtra à l’écran. Lui et ses successeurs présenteront une attitude calme et sérieuse. Leur langage élégant au rythme posé et au timbre mélodieux n’empêchera toutefois pas certains de fumer une cigarette ou de bourrer leur pipe.
Dans les années 1960, leur débit de parole s’accélère peu et leur vocabulaire demeure aussi riche. Mais après mai 68, il convient d’employer un vocabulaire plus populaire. Le lexique employé s’appauvrit alors, la posture se décontracte et le présentateur Yves Mourousi écarte le traditionnel «Madame, Mademoiselle, Monsieur» pour un «Bonjour !». Mais ce ne sera là qu’une passade: dans les années 1980-1990, le vedettariat des journalistes les conduit à opter pour des voix et un ton plus consensuels.
Dans les années 2000 puis 2010, les présentateurs vont demeurer consensuels tout en affichant leur modernité: ton décontracté, positionnement debout, présentateur de JT engagé et énergique dans ses propos. Il n’est pas rare que certains émettent parfois des commentaires à la fin d’un reportage («Pas mal !», après un reportage sur le vélo tout terrain) et emploient des mots forts: «l’émotion, le choc, la consternation».
Mais loin d’un réel relâchement, les présentateurs restent très apprêtés et soucieux de leur apparence. En outre, les journalistes empruntent des mimiques et paroles standardisés et neutres, délivrant les informations avec un timbre de voix monocorde. Reprenant l’intonation du magazine Capital, sur M6, ils adoptent en effet un ton grave et important pour certains sujets (ex: catastrophes, trottoirs enneigés) ou une intonation plus légère et interrogative donnant l’impression de finir ses phrases sans point. Ainsi, les journalistes se sont tous mis à parler de la même manière. Cette standardisation de la prosodie a conduit la plupart des journalises à scander, c’est-à-dire à prononcer une phrase ou des mots en détachant les groupes de mots ou les syllabes. Ces modes d’expression rythment le journal, déjà accéléré par des informations qui s’enchaînent rapidement. Le nombre de sujets traités a en effet augmenté au fil des décennies, contraignant les journalistes à parler plus vite.
Dans le même temps, le JT s’est voulu toujours plus divertissant. Les journalistes n’hésitent donc plus à jouer avec outrance sur des ressorts émotionnels et sur l’identification des téléspectateurs aux personnes filmées. Dans le journal de 13h de TF1 par exemple, lequel la journaliste introduit ainsi son propos un jour de mai 2021: «[...] bienvenue dans le 13 heures, dans lequel, on va [changement de ton et plissement des yeux] s’amuser un peu... [le ton ne marque pas de point] Deux études aujourd’hui nous en apprennent plus sur notre façon de conduire selon la région où l’on vit et sur la manière aussi dont on se comporte avec nos voisins [le ton ne marque pas de point] ... «Trèès intéressant vous le verrez, on va forcément tous s’y reconnaître à un moment.»
Sur M6 aussi, le journaliste engage régulièrement le téléspectateur en parlant de «nous» (ex: «un casse-tête devant lequel nous ne sommes pas tous égaux»). Le journaliste du 20 heures de TF1 interroge également: «Que pourrez-vous faire les prochaines semaines [...] ?». Quant à celle du 13 heures, elle annonce que, la saison estivale débutant, la question de se «débarrasser de la bedaine, des poignées d’amour» devient cruciale. On délivrera alors des conseils de consommation, «des astuces pour tenir»: «faîtes-vous conseiller», ne pas «faire les courses avant un repas», puis, «moralité pour maigrir: il faut prendre son temps».
Beaucoup de reportages et de thèmes sont ainsi abordés sur un ton plus que léger. C’est également ce que l’on constate dans un journal télévisé de France 2, dans lequel des journalistes demandent par exemple à des passants de frapper dans leurs mains et d’entonner une chanson afin d’introduire l’actualité promotionnelle d’un artiste. Cette légèreté dans les manières d’aborder les sujets d’actualité conduit à les mettre en scène, à les rendre attrayants. C’est ce que dénotent les titres des reportages choisis au hasard dans l’un des journaux de 20 heures de TF1: «Pont de l’ascension - Les français veulent prendre un bon bol d’air», «Déconfinement - Aura-t-on assez de bras pour la reprise ?»
Parfois même, des journalistes jouent un rôle pour introduire un sujet. Par exemple, un reportage du 20 heures de TF1 débute avec l’image d’un journaliste masqué et immobile au milieu de l’agitation; la voix-off annonce: «Ça n’est notre vie culturelle ces six derniers mois». Puis, dans un langage populaire, elle poursuivra en usant d’une intonation énergique: «alors ce mois-ci, vous aimeriez pouvoir faire quoi ?» Mais au-delà de l’esprit «magazine» du JT, qui accroît la proximité avec le téléspectateur, le journal s’attache à faire preuve de grande pédagogie. Quand on explique quelque chose, on recourt aux chiffres et aux dessins explicatifs. Les illustrations enfantines — et numériques — amènent avec douceur et amusement des recommandations sur ce qui est bon ou non de faire, interdit ou autorisé. Sur M6 par exemple, une présentatrice vient clarifier ce qui est permis ou non: «l’oreillette c’est effectivement interdit 135 euros d’amende et trois points en moins sur votre permis». Derrière son écran, le téléspectateur peut lire les quelques lignes résumant le propos développé. «Quant aux chiffres, ils étayent le discours et apportent une impression d’expertise et de solennité.
Délivrés tantôt avec force et tragique, tantôt avec paternalisme, ils sortent parfois de la bouche d’experts, régulièrement invités sur le plateau pour apporter leurs lumières sur un sujet. Le sérieux solennel est alors de rigueur.
La mise en scène de l’expertise va parfois plus loin, notamment lorsque certains reportages sont menés à la manière d’une vaste investigation: le journaliste joue alors le rôle du héros implacable qui réclame des réponses à des entreprises peu scrupuleuses. Il appelle des responsables dont il requiert des justifications, menant ainsi une enquête à la Elise Lucet pour des problèmes mineurs; il s’agit en effet par exemple de répondre à de menus problèmes de consommation.
C’est donc une façon d’ériger certaines pratiques de vie en valeurs hédonistes qu’il convient de prôner. Le JT valorise un mode de vie et de penser légitime reposant sur l’acceptation des progrès technologiques — notamment de la vidéosurveillance mêlée à des hauts parleurs — ou encore sur la consommation de loisirs (ex: joie de partir en vacances).
Toutes les chaines tendent à diffuser cette même idéologie. Cependant, chaque chaîne choisit d’évoquer plus longuement un sujet plutôt qu’un autre. En 2021 par exemple, M6 et France 2 décidaient, le même jour de traiter différemment l’actualité: M6 diffusait un long reportage consacré à la lutte menée par des militants écologistes contre la société Amazon; quant à France 2, elle préférait s’attarder sur la grève que des supporters menaient contre le score de l’Olympique de Marseille. Dans les deux cas toutefois, ces sujets évinçaient le traitement des multiples manifestations populaires qui avaient alors eu lieu en France.
Tous ces constats sur le JT d’aujourd’hui ne sont cependant pas neufs. Déjà dans les années 1970, les journalistes tendaient à rendre les informations télévisées toujours plus percutantes, assurant leur mise en scène à travers de petites musiques de fond et la dramatisation de certains évènements en présentant des images fortes au public. Toutefois, le sérieux était encore de mise. Aucun thème divertissant n’était traité ni présenté avec amusement. Les sujets étaient développés lentement, les évènements explicités. La masse d’informations délivrées submergeait ainsi moins facilement le téléspectateur, qui pouvait prendre le temps de s’en imprégner. Par ailleurs, les explications simples et lentes évinçaient l’impression de vivre dans un monde complexe, rapide et hors de portée. Pourtant, les journalistes comme les invités usent souvent d’un vocabulaire parfois relativement complexe et précis. Lorsqu’il est interrogé en 1976, le Premier ministre explique par exemple sa politique en utilisant des mots issus du milieu économique. Son langage soutenu et sa lente élocution alimentent son calme. Il adopte ainsi une attitude analogue à celle des journalistes.
Ainsi, la sobriété générale des propos laisse peu de place à l’émotion, en dépit de la large place occupée par les faits divers dans les informations. En 1984, l’un des JT de TF1 montre ainsi le sérieux dont on fait alors preuve: le journaliste ne sourit jamais et les voix-off sont graves et monotones. On cherche en effet à expliquer les évènements nationaux et internationaux avec clarté et concision. Sur Antenne 2 aussi, les années 1980 préservent la sobriété jugée inhérente aux journaux télévisés.
Cependant, les fameuses Actualités Françaises, qui encore dans les années 1960 délivraient les informations sans présentateur, ne brillaient pas par leur sobriété. Les informations s’accompagnaient d’un fond musical et se voyaient racontées telle une histoire, avec lyrisme et solennité:
Journal télévisé du 15 octobre 1976. (Antenne 2)
Après l’annonce des titres effectuée d’une voix grave sur un fond musical relativement guilleret en dépit des informations diffusées, le journaliste débute son journal d’un ton plutôt morne: «Madame, Monsieur, bonsoir. Dans un instant, notre journal vous proposera une interview exclusive du premier ministre Monsieur Raymond Barre. Nous lui avons demandé de justifier sa politique face aux critiques. Cette interview, c’est l’actualité du jour, actualité du jour avec la tempête. Une tempête d’une rare violence qui continue de sévir sur les côtes européennes de l’Atlantique, de la Manche, de la Mer du Nord et qui a déjà fait plusieurs dizaines de victimes [...]».
Puis, un reportage à la musique angoissante décrit à la manière d’un récit l’évènement. Il le délivre chronologiquement en fournissant des détails et diverses explications: «[...] finalement à marée basse, le pétrolier se pose à plat sur le pont, sans riper sur les rochers. Sa coque ne se déchire pas. En début d’après-midi, profitant de la pleine mer, [...] L’affaire va maintenant connaître des prolongements judiciaires: le commandant de l’Andros Antares n’a pas observé les consignes des autorités portuaires [...] Il va refuser d’appareiller et de ballaster son navire [...]. Le directeur général du port du Havre ajoutera que l’ordre qui a été donné «aurait dû être mis immédiatement à exécution et ça n’a pas été le cas. Et je suis persuadé que si cet ordre avait été exécuté [...]».
Le ton est monotone, la voix monocorde, claire et relativement lente; l’intonation respecte la ponctuation. Le journaliste est très calme, les mots sont dits avec la même intensité. Il ne cherche pourtant pas à adopter une attitude rigide; il remue un peu, ne s’attachant qu’à rester sérieux, sans sourire, les épaules rentrées. Cette attitude neutre tend à placer le journaliste en retrait par rapport à l’actualité.
Lorsqu’il évoque ainsi par exemple l’acceptation d’un impôt sur le capital par l’Assemblée nationale, aucune expression de visage ne vient ponctuer l’annonce du sujet. Il explicite plutôt la nouvelle de façon relativement exhaustive et en résumant ensuite son propos: «la nuit dernière, la majorité des députés ont adopté la première partie du Plan Barre et repoussé un amendement proposant un impôt sur le capital [...] Le programme du Premier ministre a donc été adopté [...]»
Tout au long du journal, des écrans explicatifs viendront agrémenter le propos. Puis, un «expert» évoquera le folklore de la campagne présidentielle américaine, interrogeant l’orientation de la démocratie vers le geste au détriment de la parole. Puis, une rubrique sur les relations entre les syndicats et le pouvoir en Europe sera diffusée avant qu’un autre explique les intentions politiques de Jacques Chirac.Journal télévisé du 25 janvier 2021 (France 2)
L’édition de 20 heures débute avec un générique très graphique sur un fond musical dynamique. La journaliste est debout, face à un immense bureau et accueille les téléspectateurs avec le sourire:
«Bonsoir, merci d’être avec nous. Bienvenue dans le 20 heures de France 2. Voici les titres de ce journal [...]». Elle annonce les titres tandis que des images illustrent ses propos et qu’une petite musique stimulante demeure en fond. Elle ajoute parfois des commentaires «Nous ferons le point» et insiste sur certains mots, d’un ton relativement vif.
Une fois les titres annoncés, la journaliste, toujours debout, insiste sur des chiffres ou sur des mots, comme pour rendre compte de la gravité du sujet et rythmer son propos. Elle lève parfois les sourcils («l’ampleuur de la menace») et interpelle («Alors où en est-on ce soir?») avant de laisser la place au reportage. A la fin de celui-ci, un «expert» est interrogé par la journaliste, et délivre de manière pédagogique des informations; il explique calmement les choses et répond aux questions posées et préalablement planifiées.
Le reportage suivant reprend ensuite un ton vif, la voix-off parlant avec une forme de technicité journalistique (ex: déballage de chiffres) qui se veut dynamique et assurée. Cette voix accentue certains mots («7 points de plus qu’au printemps») tandis que les images défilent relativement vite. Puis, un professionnel est interrogé et la voix-off reprend, implacable: «Coût estimé du premier confinement pour les finances publiques: 150 milliards d’euros». Elle poursuit ses commentaires avec énergie dans un langage proche du peuple («l’accumulation des contraintes fait des dégâts»). Les professionnels interviewés eux-mêmes emploient un langage courant («y a plusieurs raisons [...]»). Le reportage se termine par une jolie vue en surplomb de la capitale sublimée par une teinte particulière.
Ensuite, des reportages sériels («L’histoire secrète») vont nourrir le journal et encore accélérer la cadence des images, accroître les effets de styles, augmenter le fond musical et opter pour une voix-off plus forte et incisive. Certains phrases sont prononcées entre deux images («Une méfiance réciproque») quand d’autres tendent l’atmosphère («les policiers savent qu’ils peuvent être physiquement menacés»).
Les chiffres défilent à nouveau eux aussi («1092958 personnes ont été vaccinées en France, soit 66087 de plus qu’hier») et les intonations demeurent les mêmes («les avis sont très partagés»).
La journaliste assène ce qu’elle considère comme des évidences: «à quoi pourra ressembler l’avion de demain? Un avion électrique, forcément». Puis elle implique le téléspectateur: «vous ne pourrez par faire le tour du monde, faute d’autonomie suffisante»; enfin elle annonce le reportage intitulé: «De l’électricité dans l’air». Celui commencera ainsi: «Bienvenue dans le monde du futur».