Territoire et rivalités de puissance

Lieu de confrontations, le territoire a toujours constitué un enjeu essentiel dans les relations internationales.

On parle de l’espace terrestre, mais aussi des espaces aériens et maritimes, dont les particularités ont des incidences sur la géopolitique. Parmi ces facteurs, il y a l’insularité, l’accès à la mer ou enclavement, mais aussi le caractère urbain ou rural de l’espace.

En effet, nombre de conquêtes territoriales ont émaillé les rapports entre Etats, ce type d’extension participant de la puissance de l’État-nation. Au-delà des expansions en outre-mer, il pouvait s’agir de conquêtes d’espaces situés dans la continuité du territoire (ex: politique d’extension russe à partir du règne d’Ivan IV le Terrible jusqu’à son apogée au 20e siècle). Les grandes puissances mondiales se sont ainsi affrontées à de multiples reprises dans l’histoire, parfois très violemment. Le 19e siècle a en ce sens montré que les rivalités de puissance et les rapports de domination entre les grandes puissances anglaises, françaises, germaniques et russes pouvaient mener à l’éclatement d’une guerre mondiale, qui avait fini par redistribuer les cartes de la puissance. Après la Première Guerre mondiale en effet, la puissance hégémonique américaine s’est constituée pour s’imposer durant des décennies. Dans le même temps, l’URSS menait une politique extérieure aux accents impérialistes qui alimentait la compétition idéologique et stratégique de la guerre froide. Parallèlement, d’autres pôles de puissance temporaires se sont constitués, à l’instar des “quatre dragons”, puis des “tigres” dans les années 1980.

Les puissances ne sont pas stables dans le temps, mais relatives et souvent ponctuelles. Elles caractérisent souvent une époque, à l’instar de l’Italie fasciste, caractérisée par sa volonté de reconstruire un Empire, ou des nombreux autres empires conquérants et monarchies européennes.

L’effondrement soviétique a ensuite ouvert la voie à la constitution d’un monde unipolaire offrant au géant américain la possibilité de devenir le fer de lance de l’occidentalisation du monde. La guerre du Golfe participa de ce mouvement favorisant la politique unilatéraliste de l’«hyperpuissance» américaine dans le domaine militaire. Cette puissance militaire s’accompagnait d’un poids économique accru dans un monde libéral façonné par le modèle américain. Mais c’est aussi sur le terrain culturel que l’américanisation du monde a joué, en accordant aux images une importance croissante permettant aux Etats-Unis d’imposer plus facilement leur vision du monde. Ils l’ont ainsi fait à travers la promotion de leur avance technologique ou encore via leur hégémonie culturelle (soft power). Bouleversant ainsi les traditionnels attributs de la puissance, les Etats-Unis des années 1990 ont alors porté l’espoir d’une démocratisation des sociétés et de l’extension du consensus de Washington. Les différends internationaux seraient désormais réglés sur la base des valeurs portées par l’Occident. C’est notamment ce qui a ouvert la voie au droit d’ingérence.

Les États-Unis ont estimé que leur devoir — et leur droit — était d’instaurer la paix et la liberté dans le reste du monde. Cela a parfois impliqué des ingérences, voire le recours à la guerre.

Les États-Unis furent ainsi le principal vecteur du «nouvel ordre mondial» vanté par le président George Bush en 1991. Puis, la montée en puissance de l’extrémisme religieux, les nationalismes, le sentiment antiaméricain, l’altermondialisme ou encore l’émergence d’autres pôles de puissance ont ébranlé le monde occidental et ainsi remis en cause cette période unipolaire. L’Occident a alors progressivement —dans une certaine mesure — décliné. Les nouvelles grandes puissances, en plein développement, se sont dès lors affirmées, notamment par le rejet des préceptes passés. Le président chinois Hu Jintao affichait par exemple en 2011 ses craintes quant à l’occidentalisation de son pays, n’hésitant pas à rejeter les véléités expansionnistes américaines pour assurer le développement de son pays. Ainsi s’est constitué un néonationalisme chinois renforçant le sentiment anti-occidental et accompagnant son fulgurant retour sur la scène internationale. Prenant sa revanche sur l’histoire, la Chine a connu un développement économique rapide et récupéré les derniers territoires que l’Occident s’était appropriés (Hong-Kong en 1997 et Macao en 1999).

Ce développement a été tel qu’il a permis à la Chine de rivaliser avec le géant américain dans un nombre croissant de domaines; la rivalité sino-américaine est ainsi devenue une compétition globale entre une puissance établie et une puissance ascendante. Leur volonté de puissance s’exprime en effet sur des terrains économiques, politiques et militaires.

La notion de puissance renvoie à la capacité à imposer sa volonté (Raymond Aron). Elle con- duit à modifier la hiérarchie des Etats ainsi que les évènements. Les pôles de puissance reposent sur différents facteurs: population, ressources juridiques, militaires, économiques, scientifiques, facteurs sociaux et politiques, finance, etc.

L’expansion territoriale demeure également l’un des outils de la puissance, que la Chine utilise à travers ses divers projets (mer de Chine méridionale, Routes de la soie, etc.). Mais cette superpuissance économique s’appuie aussi sur un vaste réseau d’influence fondé sur l’infiltration de membres du PCC dans de nombreux pays (ex: infiltration d’universités françaises à travers le financement de laboratoires de recherche) ou sur la désinformation via les réseaux sociaux. La Chine tend également à asseoir son pouvoir en assurant son autonomie, notamment à travers la construction de sa souveraineté numérique, ce qui passe notamment par un contrôle accru de Taïwan (semi-conducteurs). Mais si des Etats comme la Chine affichent aussi des ambitions internationales, beaucoup tentent essentiellement de s’imposer dans leur propre zone géographique. Ces ambitions de puissance régionale utilisent notamment la richesse économique pour acquérir une puissance militaire plus importante que celle de ses voisins. Ainsi, aux côtés de puissances de premier rang, d’autres puissances disposent d’un poids économique et politique tel qu’il leur permet d’exercer une réelle influence régionale. C’est le cas de la Russie, de la Turquie ou encore de l’Iran, dont le poids régional et la capacité de nuisance sont tels qu’ils en font des acteurs majeurs au sein de leur région. C’est dans ce cadre que d’autres puissances se développent parallèlement comme le Brésil, le Nigeria, l’Éthiopie, l’Inde ou encore l’Indonésie.

Montesquieu a établi une classification distinguant les puissances de premier rang des puissances de second et troisième rang. Ces dernières ont généralement un rôle perturbateur de l’ordre qui a pourtant été établi par les puissances situées à un niveau supérieur.

Ces multiples pôles de puissance ont atténué le rôle de leader planétaire des États-Unis, qui par ailleurs refusaient progressivement de l’assumer car trop lourd à porter. Ainsi, le centre de gravité des relations internationales s’est déplacé de l’Occident vers la multitude, voire vers un nouveau pôle capable de créer un modèle alternatif à l’ordre international libéral. Ce modèle repose sur la puissance chinoise, proche de la Russie, et qui tous deux exercent une influence croissante dans nombre de pays en développement. Se trouvent également dans leur giron des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran.

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