La question lancinante de l’endettement public
L’endettement des Etats européens résulte d’un cheminement
progressif qui s’est emballé à partir des années 1980. Mais les
conséquences de ces endettements ne sont pas les mêmes d’un pays
l’autre. Alors que les Etats-Unis supportent une dette colossale,
la Grèce s’est trouvée proche de la faillite en raison de l’ampleur
de sa dette. Ainsi, c’est davantage la soutenabilité de la dette
qui entre en jeu : la question est de savoir quel niveau de dette
l’Etat peut supporter et à partir de quel moment l’Etat devient
insolvable.
La soutenabilité de la dette dépend également de ses détenteurs
: au japon, la dette est détenue par les ressortissants nationaux,
assurant ainsi sa soutenabilité malgré son importance.
Dans le passé, certains Etats ont en effet eu des dettes bien
plus importantes rapportées à l’activité du pays.
L’Etat britannique a financé la Seconde guerre mondiale par
l’endettement et ensuite effacé l’essentiel de cette dette par
l’inflation qui a suivi la guerre.
De son côté, la France supportait en 1715 une dette publique de
190 % du PIB français.
La question d’un renoncement au remboursement des dettes
publiques est ainsi régulièrement revenue dans les débats
politiques.
Si autrefois, les Etats se libéraient facilement de leur dette,
notamment en exécutant leurs créanciers, le droit international l’a
interdit et érigé l’obligation de rembourser ses dettes en principe
absolu. Pourtant, certaines dénonciations des dettes « odieuses »
ou « illégitimes » ont pu permettre de suspendre voire d’éviter
leur remboursement.
Ainsi, de nombreux Etats ont renoncé à payer leur dette, à
l’image de l’URSS, qui en 1918 refusait de rembourser les dettes
contractées par l’ancien Tsar. De la même façon, les Etats-Unis
décidaient en 2003 que l’Irak n’aurait pas à rembourser les dettes
contractées par Saddam Hussein.
De plus, la Charte de l’Organisation des Nations unies (ONU)
proclame que les Etats doivent préférer « le relèvement des niveaux
de vie, le plein-emploi et des conditions de progrès et de
développement » au respect des obligations issues d’accords
internationaux (art. 103).
La persistance des politiques d’austérité
L’endettement de certains Etats européens les a contraints à
réclamer l’aide d’institutions internationales. En échange de ces
aides, le Fonds monétaire international réclame cependant la mise
en place de politiques d’austérité destinées à limiter
l’endettement des Etats bénéficiaires.
Pour certains observateurs, ces mesures n’ont servi qu’à
rassurer les marchés financiers, dont les intérêts ont prévalus sur
ceux de la population qui les ont subies ; en libéralisation
l’économie, les Etats sont en effet devenus tributaires de marchés
financiers qu’ils doivent continuellement rassurer. Ainsi, en
imposant le remboursement de la dette aux populations européenne,
on rendrait responsables des peuples qui n’ont jamais contracté les
dettes qu’elles sont contraintes de rembourser.
Ces mesures ont placé les Etats bénéficiaires des aides sous la
tutelle de la « troïka », composée de la Commission européenne, de
la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire
international.
Les politiques d’austérité ont été vivement critiquées pour
leurs conséquences sociales mais également pour leurs effets
bénéfiques limités sur le retour à la croissance économique.
En 2015, un jeune Grec sur deux est au chômage et que 40 % de la
population a passé l’hiver 2014 sans chauffage. A cela se sont
ajoutées des baisses de salaires et l’incapacité d’un part
croissante de la population à se soigner.
Stagnation, chômage, accroissement des inégalités… Les
politiques d’austérité sont accusées de nombreux maux. Malgré cela,
les instances dirigeantes de l’Union européenne ont maintenu leur
volonté de poursuivre les plans d'austérité.
Vers un changement de paradigme ?
Début 2015, les Grecs ont porté au pouvoir un parti «
anti-austérité », provoquant un important bouleversement
politique.
Depuis 1974, le système politique grec avait été dominé par deux
partis. Depuis 2009, la Grèce a assisté à l'effondrement du
bipartisme et à un renouvellement important des personnalités
politiques. C'est ainsi que le 25 janvier, la gauche radicale, avec
le parti Syriza, remportait une victoire historique.
En 2009, Syriza n'avait obtenu que 4% des votes, contre 36% en
2015.
Le parti nouvellement au pouvoir avait en effet notamment
annoncé la fin de plusieurs privatisations, le rétablissement du
salaire minimum, et la renégociation de la dette grecque. La Grèce
renonçait ainsi à l’effacement de sa dette.
Les débats ont ainsi été houleux entre la « troïka » et le
gouvernement grec. Début février 2015, la Banque centrale
européenne décidait de priver les banques grecques d’une de leurs
sources de financement. De son côté, le ministre grec des affaires
étrangère remettait à Berlin une demande relative aux réparations
de guerre, affaire remontant à la fin de la Seconde guerre
mondiale.
Après d’intenses négociations, un compromis était finalement
trouvé : la zone euro accordait une prolongation d’aide à la Grèce
sous conditions (mesures contre l’évasion et la fraude fiscales,
lutte contre la corruption dans l’administration, etc.). Cependant,
la population grecque commençait à s'élever contre la persistance
de mesures anti-austérité. En effet, la Grèce décidait début mars
de puiser dans les réserves des caisses de retraite et d'organismes
du secteur public pour pouvoir couvrir ses besoins de remboursement
au Fonds monétaire international.
Cependant, les remises en question imposées par le parti Syriza
laissent craindre à l’Union européenne la montée en puissance d’un
autre parti, Podemos.
Bibliographie:
« Dette publique, un siècle de bras de fer », Le Monde
diplomatique, mars 2015.
“Les acteurs de la contrainte”, Nicolas Jabko, Les Etats sous
contrainte économique, Pouvoirs n°142, 2012
Gouverner par la dette, Maurizio Lazzarato, Les Prairies
Ordinaires Collection “Essais”, 2014.
“Les dettes publiques, sept observations”, Jean Gatty,
Commentaire, n° 148, hiver 2014-2015.
Reportage Arte, “La dette, une spirale infernale ?”, 2015.